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doit toujours répondre d’une manière convenable, qu’il est de son devoir d’apprendre à sourire en maugréant, à maugréer en souriant.

On admet, en Angleterre comme ailleurs, que les minorités déploient à l’égard d’un cabinet qui leur déplaît une indiscrétion tracassière et désobligeante ; c’est leur droit. En revanche, les Anglais n’admettent pas qu’une majorité s’applique à donner aux ministres qui possèdent sa confiance, auxquels elle a promis son appui, plus de tracas, de désagrémens, de dégoûts que ne pourrait le faire l’opposition, et qu’elle les réduise à s’écrier chaque soir et chaque matin : « Que Dieu nous délivre de nos amis, nous nous chargeons de nos ennemis ! » M. Strousberg se plaint que, dans certains pays du continent, les partis soient trop intolérans les uns à l’égard des autres. Il est bien question de cela ! Dans les pays dont il parle, c’est à l’égard des hommes qui les représentent que les majorités font preuve d’une cruelle intolérance. Elles leur marchandent les égards, elles leur demandent compte de toutes les nominations qu’ils font et de toutes les destitutions qu’ils ne font pas, elles les tiennent en lisières, elles ne leur accordent que des votes de confiance conditionnelle ou de simple tolérance. On dirait qu’elles s’appliquent autant qu’elles le peuvent à les affaiblir, à les diminuer, à les déconsidérer. Sans leur faire grâce sur rien, sans leur faire crédit d’un jour ou d’une heure, elles les semoncent, les admonestent, les morigènent, et trois avertissemens entraînent la suppression.

Le rôle des ministres en de telles conjonctures est de se soumettre ou de se démettre. On les traite comme des commis dont le premier devoir est d’obéir et qu’on est toujours prêt à casser aux gages, à qui l’on dit : Passez au bureau. À ce métier les caractères les plus droits se déforment, les santés les plus florissantes se dérangent. Ceux qui veulent sauver à la fois leur santé et leur fierté imitent M. Canovas, ils prennent leur chapeau ; d’autres prennent le train qui conduit en Égypte. Quand ils sont partis, on se plaît à reconnaître leurs talens, leur grand mérite, leur loyauté, les précieux services qu’ils ont rendus ; on les loue, on les regrette, mais le mal est fait, ils ne reviendront pas. Il serait fâcheux que la fuite en Égypte fût le dernier mot du parlementarisme. — « Pour vivre dans le monde, disait Chamfort, il faut savoir avaler un crapaud tous les matins. » — Passe pour un crapaud ! mais en avaler dix, c’est un peu trop ; on aime mieux s’en aller, on s’en va, l’exemple est contagieux, d’autres s’en vont aussi, et le gouvernement se trouve en l’air. Ces fâcheux accidens se produisent souvent quand les assemblées ne se contentent pas de contrôler et qu’elles aspirent à gouverner. C’est une maxime constante dans tous les états libres que celui qui a le pouvoir doit être responsable, que celui qui est responsable doit être maître de ses actions. Quand le parlement administre et gouverne, le gouvernement devient occulte et irresponsable. Hommes ou choses, toutes les questions sont résolues par une politique de