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REB HERSCHEL.

Les choses se passent souvent ainsi dans tel village où un seigneur jeune et ardent, une jolie fille et des parens honnêtes se trouvent en présence les uns des autres.


IV ;

Maintenant Freudele vaque aux devoirs domestiques dans la maison de son oncle. On la trouve bien changée ! Le mal du pays a creusé ses joues, effacé son innocent sourire ; elle soupire après ses parens, ses petits frères et peut-être après un ami… Mais cet ami, le voici venu,., elle l’aperçoit de la fenêtre, son front s’éclaire d’un rayon de joie,., elle court ouvrir, et lui, Reb Herschel, le savant talmudiste, se tient embarrassé sur le seuil… Comme il la regarde pourtant !.. Il ne se lasse pas de la regarder,., il se sent renaître sous la caresse de ces beaux yeux noirs.

— Que fait Reb Herschel à la ville ? demande gaîment Freudele. Reb Herschel a rougi comme une jeune fille : — Je ne pouvais plus rester au village,., je le trouvais si triste, vide, absolument vide ;., et puis, ajoute-t-il avec précipitation, craignant de se trahir, faut-il donc que je passe ma vie à morigéner des enfans ? Le monde marche, les idées avancent, tandis que je m’encroûte là-bas. Cette pensée m’a frappé comme la foudre, m’apportant l’envie de faire quelque chose, de devenir quelqu’un. Je n’ai pu y résister ;., j’ai renoncé à mon triste métier, et je vais…

— Vous parlez tout autrement qu’autrefois, interrompt Freudele étonnée ; il semble qu’un nouvel esprit soit entré en vous.

— Ainsi vous croyiez toute énergie morte chez moi ?

— Je ne sais pas,., enfin que voulez-vous faire à présent ?

— Étudier autre chose que le Talmud.

— Vous ?., commencer à votre âge ?

— Je ne commencerai pas par l’alphabet en tout cas, riposte le jeune homme en souriant.

— Oh ! je sais qu’en hébreu vous êtes fort, mais je faisais allusion à des études pratiques…

— Ces études je les ai ébauchées, Freudele ; pendant les nuits où vous dormiez, je lisais, je lisais… Freudele, donnez-moi sept ans pour devenir médecin…

Elle le regarde stupéfaite, croyant rêver : — Vous avez touché d’autres livres que le Talmud et la Thora ?

— Le Talmud et la Thora me donnaient le droit de rester dans votre maison, mais je ne m’en tenais pas à leurs pages sacrées. Sous mon lit se cachait une bibliothèque qui n’était pas sans doute tout ce que je pouvais désirer, mais enfin elle m’aidait à prendre patience ; le jour où la patience m’a manqué, je suis parti.