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REB HERSCHEL.

l’étagère sont rangés des livres hébreux à dos dorés. Un miroir, quelques estampes enluminées dont les sujets appartiennent à l’histoire sainte, décorent la muraille ; les lits, les tables, les sièges en bois de frêne, d’un jaune limpide, sont soigneusement polis par une main de femme active et diligente. Devant la fenêtre est occupée à coudre cette femme, cette enfant, le bon génie de la maison, notre belle Freudele. Le dimanche, jour de rassemblement et de joyeux tapage au cabaret, les parens de Freudele se passent de l’aide accoutumée de leur fille, qui s’occupe du ménage dans le calme de sa chambre solitaire. Est-elle seule, en effet, ce jour-là ?.. Tout à coup un cri échappe à la jeune fille penchée sur son travail, un cri de frayeur ; elle a senti la mèche d’une cravache effleurer son cou, elle a entendu le rire brutal du jeune seigneur. Il est là, de l’autre côté de la fenêtre dont il s’est approché à pas de loup ; oh ! elle le connaît bien, il l’a tant de fois effrayée déjà par ses propositions, par ses menaces, par ses caresses,., mais sans succès, toujours sans succès. Et le sang de Reb Herschel bout dans ses veines quand il est par hasard témoin de ces combats entre un pouvoir oppressif et grossier et une héroïque pudeur. Il ferme alors le poing sous ses larges manches, il voudrait se jeter sur le tyran, mais celui-ci le toise de haut, fait sonner ses éperons, et le pauvre juif timide va rejoindre en soupirant ses élèves. Freudele d’ailleurs saura se défendre, mais comme il souffre quand elle va au château demander un délai pour le fermage ! avec quelle vivacité il se représente les humiliations qu’elle doit essuyer dans ce rôle de solliciteuse ! Elle n’en dit jamais rien à ses parens ; n’importe, Reb Herschel sait à quoi s’en tenir quand elle revient la rougeur au front, les yeux encore humides de larmes qui ont demandé grâce. — Dans ce cas-là, il ne passe pas la nuit à lire, mais il gémit et se crie à lui-même : — Comment la délivrer ? comment me délivrer moi-même de ce supplice d’amour et de jalousie que j’endure ?

III.

Il est tard ; le village tout entier sommeille, aucune lumière ne brille plus à la fenêtre des chaumières ; l’auberge seule est éclairée, non pas la salle qu’ont abandonnée depuis longtemps les buveurs, mais la chambre où le cabaretier compte pièce à pièce l’argent gagné dans la journée. Puis il dit pieusement sa prière, baise avec dévotion la mesuseh, l’amulette qui fixe au poteau de sa porte le nom de Dieu et un verset des saints livres, tire sur ses longs cheveux bouclés un bonnet blanc, allume sa pipe et se couche pour la savourer à loisir.

Sa femme est allée s’assurer que la volaille et les autres bêtes