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dénoncer les membres de la société de Jésus comme des « corrupteurs » de la jeunesse française.

Nous avons eu récemment, nous aussi, l’occasion de visiter un de ces établissemens : nous étions curieux de voir à l’œuvre et de prendre sur le fait cette jeunesse corrompue et ces maîtres corrupteurs. Nous y avons trouvé, — c’était l’heure de la récréation, — cent cinquante jeunes gens de dix-huit à vingt ans, alertes et vigoureux, qui jouaient dans une vaste cour, les uns aux barres, les autres au ballon et aux quilles, quelques-uns même au croquet. Il n’y en avait pas un seul qui ne prît part à l’un ou à l’autre de ces jeux. Et, au milieu d’eux, les stimulant par son exemple, luttant d’adresse et d’agilité avec les plus forts, le préfet des mœurs, c’est-à-dire le maître surveillant, le visage trempé de sueur et la soutane relevée. Alors, par la pensée, nous nous sommes reporté à l’époque où, dans nos conciliabules de rhétoriciens précoces et blasés, nous passions le temps de nos courtes récréations au fond d’une cour étroite et sombre, tantôt à deviser de choses que nous n’aurions pas dû connaître, tantôt à réformer la société, et nous nous sommes demandé si la sévérité de M. le ministre de l’instruction publique était bien à sa place.

La récréation terminée, on a bien voulu nous montrer les salles d’études. Elles sont vastes, propres et bien aérées. Chaque élève a son pupitre avec un casier dessous pour mettre ses plus gros livres ; rien ne traîne, aucun désordre : quand l’heure sonne, on range tout. Et sur ces pupitres, chose étonnante, pas une inscription, pas un coup de canif ou de couteau.

Les dortoirs. sont beaux, trop beaux peut-être : les parquets en sont cirés ; c’est un luxe que quelques familles trouvent inutile, et peut-être n’ont-elles pas tort. Mais ce qu’elles apprécient fort, c’est la qualité de l’ordinaire. Dans nos lycées, la ration de viande est au maximum de 200 grammes par jour. Chez les pères, les grands ont jusqu’à 360 grammes de viande cuite et désossée ; les petits et les moyens, environ 300 grammes. Ce n’est pas encore la nourriture anglaise, « qui se compose en grande partie d’ale et de rosbif avec addition de farineux en purée et de légumes. verts et qui est pour beaucoup dans la supériorité physique de nos voisins[1], » mais on s’en rapproche autant que possible. Les pères ont aussi beaucoup pris de leur éducation physique aux Anglais, et ils n’en ont pris que le nécessaire. Ils leur ont laissé les exercices purement athlétiques ou de sports tels que la course et le canotage, et leurs jeux savans, tels

  1. M. Jules Simon, la Réforme de l’enseignement secondaire.