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signification bien claire[1]. Treize voix de majorité contre le gouvernement, tel est le résultat de la campagne poursuivie devant les assemblées départementales par les forces unies de l’administration et de la gauche. Voilà tout ce qu’ont pu tirer d’elles par la persuasion, par la prière et les sollicitations, par leur propre exemple, quinze ministres et sous-secrétaires d’état, quatre-vingt-sept préfets et cinq cents sénateurs ou députés, sans compter toutes les autres influences gouvernementales. Pendant six mois, on a remué ciel et terre pour gagner l’opinion publique, on a dépensé une somme inouïe d’activité, de mouvement, d’industrie, de faconde ; on s’est répandu par toute la France en discours, en objurgations ; on s’est fait tour à tour doux et menaçant, trivial et pathétique. Tant de bavardage et d’agitation n’a servi qu’à montrer l’invincible attachement de ce pays à l’une de ses plus chères libertés. Les conseils généraux ont laissé dire et pérorer, et ils ont voté. Ils ont voté contre les projets de M. Ferry comme le peuple vote dans les grands jours, quand il s’agit de ses intérêts vitaux, sans se prendre au mirage de la fausse éloquence et du faux patriotisme, avec le calme et le ferme propos d’une raison sûre d’elle-même. Ce qu’il y a de plus remarquable en effet dans cette imposante manifestation, c’est moins encore son importance numérique et matérielle que le caractère de résolution dont elle est empreinte. Il faut toujours un certain courage pour se séparer d’un gouvernement, quel qu’il soit, dans une question capitale. Fût-on de l’opposition, souvent on hésite. Mais combien ce courage n’est-il pas plus méritoire quand, au lieu de se rencontrer chez des adversaires, il se trouve chez des amis ! Or sait-on bien qu’à l’heure actuelle il n’y a pas moins de cinquante-cinq conseils généraux dont les majorités sont républicaines. Considérez ce chiffre, il parle plus haut que tous nos argumens, il couvre et domine tout. Fut-il jamais avertissement plus significatif ? Ah ! si nous étions encore au temps du septennat, on pourrait essayer d’atténuer la portée d’un vote rendu par des assemblées « réactionnaires et cléricales, » mais on n’a plus cette ressource aujourd’hui. Ce n’est pas l’ordre moral qui a porté le coup cette fois ; ce sont les partisans du régime actuel. Ce n’est plus une levée de boucliers monarchique, c’est toute une armée que le gouvernement a devant lui, la grande armée des pères de famille insurgés pour la cause du droit et de la liberté de conscience et conduits au combat par leurs chefs naturels.

  1. Nous voulons parler des sept conseils généraux qui se sont abstenus et qui, à l’exception d’un seul, ont des majorités de gauche. Il est évident que l’abstention de ces majorités suppose une hostilité latente contre les projets du gouvernement.