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commentaire vivant de ces époques que l’érudition moderne s’efforce de faire revivre.

En quittant Beylerly, nous gagnons la route de Bouldour, qui longe les bords du Bouldour-Gueul (lac de Bouldour). D’abord mal tracée et indécise, elle serpente à travers des régions désertes et sablonneuses ; plus loin, des poteaux télégraphiques, des postes de zaptiés plus fréquens, enfin, une apparence de route tracée et entretenue annoncent le voisinage d’une grande ville. On quitte bientôt les rives du lac près d’un poste de zaptiés ; ces soldats déguenillés vivent moins de leur solde que des paras qu’ils gagnent en servant du café au voyageur. Leur corps de garde est un véritable café. Quand on a dépassé le poste, on s’enfonce entre des collines calcaires dans la direction de Bouldour. Les environs de cette ville ont un aspect étrange, et c’est presque une bonne fortune de les voir sous un ciel orageux, qui fait ressortir la physionomie de la contrée. Le paysage se dessine par de grandes lignes horizontales ; au premier plan, une série de monticules calcaires et marneux, d’un blanc sale, d’aspect monotone ; à l’horizon, la ligne noire formée par les maisons de bois de la ville, et rompue par quelques minarets aigus ; à l’arrière-plan, les dernières pentes de l’Aghlasan-Dagh, teintées de bleu ardoisé, d’une valeur uniforme. Le tout est éclairé par les rayons d’un soleil terni, qui tombent d’aplomb. Hommes et chevaux sont fatigués par cette lumière décolorée que reflète le sol, et c’est un véritable soulagement que de pénétrer sous l’ombre des jardins dont la ville est entourée.


30 mai.

Le khan est neuf. Les petites cellules blanchies à la chaux, avec leur sol de terre et de paille hachée, offrent un gîte passable. Autour de la cour intérieure règne une galerie de bois sur laquelle donnent les portes des chambres. C’est un continuel va-et-vient de voyageurs, de marchands affairés. Les transactions se débattent dans la cour du khan, au milieu du tumulte que font les nouveaux arrivans, les chevaux et les mulets qu’on décharge. De grandes outres de cuir noir, rangées le long des murailles, font songer involontairement au conte arabe des Quarante Voleurs. Sous le porche obscur qui donne accès dans la cour, des marchands ont étalé leurs marchandises : étoffes de Brousse, kouffièhs d’Alep, yachmachs de toutes couleurs, et même des indiennes venues d’Angleterre, qui détonnent tristement au milieu de tous ces brillans produits de l’Orient.

Le khan s’ouvre sur la rue principale, bordée de boutiques où les marchands sont installés suivant la nature des objets qu’ils