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événemens plus vastes, plus puissans dont sa défaite est le point de départ. En 186 ! », sous les yeux de l’Europe, il est envahi, occupé et certainement près d’être démembré ; la question n’est pas toutefois définitivement tranchée. Après Sadowa, quand l’Autriche est abattue, il n’a plus pour dernière ressource que la médiocre et vague garantie de l’article 5 du traité de Prague, qui réserve le droit national d’une petite portion du Sleswig. Lorsque la France à son tour est vaincue, il n’a plus même l’article 5, qui est désormais destiné à disparaître, qui a disparu tout à fait avec le consentement de l’Autriche. La question danoise reste ainsi mêlée à tout jusqu’à ce que la révolution de l’Europe soit accomplie au profit de l’Allemagne.

Cette longue et dramatique histoire, tristement féconde en conséquences qui ne sont pas encore épuisées, elle a eu sans doute ses péripéties retentissantes, sa partie extérieure et officielle ; elle a aussi ce qu’on pourrait appeler sa partie secrète, et c’est à cette partie surtout que s’attache M. Jules Hansen, en homme qui, pendant quinze ans, a traversé tous les camps et tous les cabinets, qui a reçu bien des confidences, qui a vu de près les oscillations et les défaillances de la diplomatie napoléonienne aussi bien que les audaces mêlées de ruses de M. de Bismarck ; c’est l’intérêt de ce livre, où la fidélité à la France s’allie au patriotisme danois. M. Jules Hansen raconte qu’à un des momens les plus graves, au lendemain de la guerre de 1866, M. Thiers lui disait avec tristesse : « La position de la France est très difficile, nous allons nous trouver isolés en Europe… Je ne me laisse pas ébranler dans l’opposition que je fais à l’empire, parce que je crois que c’est un devoir que je remplis envers mon pays. Ce qui est arrivé est pour la France un malheur tel qu’elle n’en a pas éprouvé de plus grand en quatre cents ans. Or quelle en est la cause, si ce n’est le système du gouvernement personnel ? » M. Thiers jugeait avec une clairvoyance désolée ces terribles crises où l’empire était visiblement le seul coupable, où M. de Bismarck n’avait réussi dans ses entreprises que parce que l’incohérence de la politique napoléonienne lui avait tout permis, et l’impétueux Allemand n’était pas homme à rendre les armes devant cette incohérence : témoin ce jour de la fin de 1866, où, dans l’intimité, il disait avec dédain que « la comédie et la pusillanimité » étaient à l’ordre du jour aux Tuileries, que l’empereur ne savait seulement pas ce qu’il voulait, que si on le poussait à bout, « il répondrait si énergiquement qu’on s’en souviendrait. » M. de Bismarck n’était homme à se laisser arrêter ni par les troubles d’esprit de Napoléon III, ni par bien d’autres choses, et c’est là justement ce qui fait son équivoque et redoutable originalité. On peut voir dans ce livre sincère, comme dans les récentes confidences d’un assez lourd Dangeau allemand, on peut voir se dessiner cette figure d’un politique qui est après tout un grand joueur, qui procède par surprises et coups de dés, et qui finit par