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Paris, la bataille de Beaugé, la déroute des sièges mis par les Anglois à Montargis, à Orléans, à Compiègne, et le recouvrement en partie des pays de par deçà ; la mort miraculeuse du roy d’Angleterre, du comte de Salisbéry et autres ennemis. Ces choses sont-elles venues par les vaillances et vertus des nobles, par les prières des gens d’église ? Je crois que non. Mais Dieu l’a fait et a donné courage à petite compagnie de vaillans hommes à ce entreprendre et faire, à la requeste et prière du roy. Considérez cette noble maison de France, le roy, la reyne, M. le dauphin ; quelle auguste famille, de Dieu gardée, de Dieu aimée, de Dieu prisée et honorée, comme vous pouvez voir apparemment. Ne la devez-vous doncques aimer ? Certes si faites. Regem honorificate, Deum timete. » Nous reconnaissons là, si je ne me trompe, l’accent particulier aux inspirations et aux croyances des contemporains de Jeanne d’Arc, une effusion de ce sentiment religieux et patriotique qui éclate dans certaines pièces de Christine de Pisan, d’Alain Chartier, de Charles d’Orléans, écrites de verve sous le coup de l’émotion excitée par le miracle des victoires françaises.

Vingt ans après, Jean Juvénal, devenu archevêque, premier duc et pair de France, prit la parole dans une autre assemblée d’états-généraux, à Tours, en 1468. Les temps étaient changes. Le pouvoir royal, consolidé par les institutions et par la gloire de Charles VII, tournait à un despotisme rusé ; l’impôt permanent, porté par Louis XI de 1,200,000 livres à 5,000,000, accablait le peuple. L’orateur défendit cette fois les opprimés et les faibles. Son éloquence, dont la vigueur rappelle, mais avec moins de rhétorique, le Quadriloge invectif d’Alain Chartier, nous est un exemple du ferme langage que les bons citoyens osaient tenir en avertissant les grands de la misère des petits. Il décrit d’abord, d’un style naïf, expressif, et qui ne craint pas le mot propre, les brigandages de toute sorte qui ruinent les provinces : « Vos peuples sont tout détruits, appauvris de chevance, tellement qu’à peine ont-ils du pain à manger pour les excessives tailles qu’on leur met sus, et par pilleries et mangeries qu’ils souffrent. De là, une terrible fièvre, resverie et frénésie en laquelle vivent marchans, laboureurs et autres ; car qui perd le sien, perd le sens. » D’où viennent ces maux ? De l’excès des pensions payées aux courtisans, « non mie seulement à hommes, mais à femmes qui ne sauraient de rien servir la chose publique. Hélas ! s’écrie-t-il, dans un mouvement qui n’est pas sans hardiesse, hélas ! tout est du sang du peuple ! on oste la pasture du pauvre commun, et la rapine qu’on fait est en vos maisons. Pourquoi grévez-vous et destruisez-vous ainsi mon peuple ? comme dit Dieu par le prophète. » Une autre « vuidange » de l’or de