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l’esprit public lui-même, sous l’influence du sentiment patriotique qui, s’exaltant à son tour dans les suprêmes épreuves de la nationalité française, maîtrisera les factions, suscitera Jeanne d’Arc, tournera contre l’ennemi commun les volontés unies, les cœurs réconciliés.

De 1422 à 1439, Charles VII usa largement de la suprême ressource des royales détresses ; il fit appel dix fois aux états-généraux. Ceux-ci, convoqués en province, à Chinon, à Orléans, à Tours, à Meun, sur le terrain même de la lutte à outrance contre l’envahisseur, furent admirables de loyauté et de résolution. Ils donnèrent des hommes et de l’argent, sans se décourager, sans se plaindre ; ils votèrent la création d’une armée régulière et d’un impôt permanent ; ils forcèrent les nobles qui avaient déserté le champ de bataille et se tenaient cachés dans leurs châteaux à rejoindre le drapeau du roi. On aimerait à connaître les discours et les orateurs qui ont alors raffermi le cœur de la nation et soutenu, pendant tant d’années, en de si dures extrémités, l’esprit de sacrifice et l’invincible espérance ; mais presque rien ne s’est conservé des paroles qui furent dites en ces occasions décisives ; le silence des historiens semble indiquer qu’on y a plus agi que parlé, et que le sentiment qui dominait dans ces assemblées était un patriotisme sans phrases. Le plus curieux fragment qui nous reste de cette époque appartient à des jours meilleurs ; c’est un discours prononcé aux états de 1439 par Jean Juvénal des Ursins, évêque de Beauvais, l’auteur d’une chronique souvent citée par nous. Issu d’une famille de riche bourgeoisie que sa résistance aux factieux avait illustrée au XIVe siècle, fils d’un prévôt des marchands et frère d’un chancelier de France, Jean Juvénal, qui fut plus tard archevêque de Reims, était en 1439 le chef de la députation ou, comme on disait, de « l’ambassade de Paris » dans l’assemblée d’Orléans : personne n’y représentait plus dignement, avec une autorité plus imposante, le courage, les vertus et les lumières du tiers-état.

La péroraison surtout de son discours est à remarquer. L’orateur s’adresse à ce sentiment monarchique qui, dans l’ancienne France, était la forme vivante et l’expression populaire du sentiment national : rappelant les récentes victoires, le merveilleux changement survenu dans les affaires, tant de villes reconquises, tant de périls dissipés et de si terribles ennemis subitement vaincus ou écartés, il voit dans ce retour de fortune une preuve certaine de la protection divine ; il conjure les députés de se serrer autour d’un prince choisi par le ciel pour la délivrance et le relèvement de la patrie. « Regardez, dit-il, et advisez quelles merveilles Dieu a faites pour lui ; comme il fut sauvé de la main de ses ennemis à