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riches habits, tellement qu’on ne les congnoist plus ; ils ne donneront à disner à aulcun s’ils n’ont le hypocras et autres telles friandises, et toutes ces dépenses-là viengnent du roy..* Et vous, gens du parlement et de la chambre des comptes, jeunes maistres des requestes ignorans, choisis à la faveur ; présidens, qui, en faisant gagner sa cause à un malfaiteur, dictes : « c’est contre le droit, mais il est mon parent ; » vous, chancelier, qui recevez 2,000 livres par an de traitement, 4,500 francs d’or pour les lettres de rémission, 26,000 livres sur les subsides de guerre, 2,000 livres pour vostre garde-robe ; vous, procureurs généraux, appoinctés à 600 livres, conseillers appoinctés à 300 livres, quémandeurs de pots-de-vin, trafiquans d’arrêts et de sentences ; vous, officiers de la cour, qui occupez trois ou quatre emplois que vous ne pouvez remplir, et dont vous cumulez les grands et excessifs gages ; serviteurs et servantes du roy et de la reyne, mauvaises herbes et orties périlleuses du jardin royal, qui empeschez les bonnes herbes de fructifier, il faut vous oster, sarcler et nettoyer, afin que le demeurant en vaille mieulx. Sur ce, nous requérons qu’on vous prenne tous, vous, et vos biens aussi. » Ces diatribes, et d’autres semblables dont Monstrelet a conservé le texte, vociférées, toutes fenêtres ouvertes, dans la grand’salle de Saint-Paul, passaient et se. répétaient, en s’exagérant, jusqu’aux jardins ouverts à la foule : accueillies par d’effrayantes clameurs, elles donnaient presque toujours le signal des arrestations et des massacres. Ce que les harangueurs avaient suggéré, là sédition l’exécutait dans les vingt-quatre heures.

Il y avait bien, parmi les bourgeois de Paris, quelques esprits sages, fatigués du désordre, qui se moquaient de ces docteurs travestis en factieux et se scandalisaient fort des ridicules descentes de la rue du Fouarre et de la montagne Sainte-Geneviève sur la place publique. « Voilà, disaient-ils, de plaisans personnages et de singuliers hommes d’état ! Quelle pitié que des liseurs de livres, habitués à régenter des écoliers, à gloser sur l’Écriture et sur Aristote, osent prendre en main le gouvernement du royaume ! Tous leurs discours sont des fadaises ; ils ne s’entendent ni à la paix, ni à la guerre, ni aux finances : autant en emporte le vent ! Qu’ils retournent à leurs études et que chacun fasse son métier. » Déjà perçait ce malin bon sens qui, au temps de la Ligue, devait inspirer la Ménippée. L’éloquence frénétique de l’Université n’était pas seule à remuer les masses parisiennes ; les chefs de parti, comme en 1356, raffermissaient leur popularité par des harangues fréquentes : l’intervention de la parole était si nécessaire que tous les hommes qui ont joué quelque rôle dans cette époque orageuse et tragique y figurent avec le renom de personnages éloquens. Le duc Philippe de Bourgogne, mort en 1404 avait une brillante facilité