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« despouillés étaient estendus sur les quarreaux en la voie, » applaudit les discours de Maillart et du régent.


II

L’agitation renaît en 1381, pendant la minorité de Charles VI ; la parole ressaisit aussitôt son empire. Un trait particulier de ces nouveaux troubles, qui raniment avec les factions l’éloquence séditieuse, c’est que les harangueurs ne sont pas toujours des bourgeois, comme Toussac, ou des princes, comme Charles de Navarre, ou des clercs et des évêques, comme Robert Le Coq ; bien souvent, ces meneurs populaires sortent des rangs du peuple. Ils émergent subitement de l’effervescence de la rue ; ils marquent le but aux ardeurs incertaines, aux impatiences aveugles : dès que le coup est fait, leur rôle éphémère est rempli, ils retombent dans le silence et le néant. Au début de l’insurrection des Maillotins, en 1381, un ouvrier corroyeur, alutarius quidam, ramassant trois cents émeutiers armés de poignards, les harangue en place de Grève, puis, franchissant les ponts à leur tête, les lance contre le palais, où tremblaient et se cachaient les oncles du jeune roi Charles VI. Nous avons ce discours d’un ouvrier parisien du XIVe siècle, traduit, il est vrai, en latin par un chroniqueur trop scolastique ; il est d’une violence que des insurgés de ce temps-ci ne désavoueraient pas. « A quand donc notre tour de jouir du repos et des douceurs de la vie ? qui nous délivrera du joug de ces seigneurs dont la rapacité nous exploite, dont l’orgueil nous écrase ? Ils vivent de notre substance, substantias nostras illis impertimur ; c’est avec nos dépouilles qu’ils bâtissent des palais et nourrissent leurs gens ; l’éclat du règne vient de la sueur du peuple, ex sudore regnicolarum regius fulget homos. Notre patience est à bout. Levons-nous tous ! Que Paris prenne les armes plutôt que de souffrir la honte et la servitude. »

À ces invectives, dont l’accent révolutionnaire et la couleur toute moderne pourraient d’abord nous surprendre, comparons les prédications égalitaires du couvreur anglais Wat Tyler et du prêtre John Ball, qui, cette même année, déchaînaient contre Londres une invasion furieuse de soixante mille ouvriers et paysans, si vivement décrite par Froissart : « Bonnes gens, les choses ne peuvent bien aller en Angleterre, ni ne iront jusques à tant que les biens seront de commun et qu’il n’y aura ni vilains, ni gentilshommes, et, que nous ne soyons tous unis. A quoi faire sont ceux, que nous nommons seigneurs, plus grands maîtres que nous ? Ils sont vêtus de velours et de camocas fourrés de vair et de gris ; et nous sommes vêtus de povres draps. Ils ont les vins, les épices et les bons pains ; et nous