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constitutionnelle avec la fièvre de l’esprit factieux, avec l’audace d’une révolution. Rappelés subitement, au lendemain de la défaite, par un prince de dix-neuf ans, pâle, chétif, mésestimé, tremblant sous le fardeau d’une régence dans son palais désert, les états-généraux de 1355, qui avaient déjà fourni trois sessions, se réunirent à Paris, le 17 octobre. L’assemblée comptait plus de huit cents membres dont la moitié appartenait au tiers-état. S’il faut en croire la bonne opinion qu’elle avait d’elle-même et qu’elle a exprimée dans un très long procès-verbal, jamais réunion politique n’avait contenu un pareil nombre d’éminens personnages, d’hommes de sens et d’expérience : c’était « la fleur de la sagesse » du pays. Pendant que les députés, accourant des provinces, s’installaient, non sans émoi, le peuple de Paris, mis en rumeur par les nouvelles de la guerre, par la légende, rapidement grossie, du champ de bataille, promenait à travers la ville cette oisiveté agitée qui est le prélude des grandes explosions : les artisans délaissaient leurs métiers, disent les chroniques, « ils alloient de çà, de là, par tourbes, tout enflambéz, » poussant des cris de mort contre « les traîtres et les fuyards ; » leur foule, s’amassant aux portes du couvent des Cordeliers, — aujourd’hui l’École de médecine, — où l’assemblée, dès ses premières séances, s’était transférée, faisait écho par ses clameurs aux délibérations. C’est dans ces conditions exceptionnelles, dans cette violente crise des esprits et des affaires, que la parole, pour la première fois en France, passant du conseil à l’action, d’un rôle subalterne à un rôle prépondérant, fut appelée à diriger le mouvement politique.

Tout d’abord, et sur le premier plan, paraît l’homme du roi, le chancelier de La Forest, archevêque de Rouen, humble et décontenancé devant la colère publique, avocat d’une cause qu’il sait désespérée, marqué lui-même et désigné pour les futures vengeances, essayant, par devoir, de plaider les circonstances atténuantes de l’incapacité de son maître et de faire briller sur ce pouvoir absolu, tombé si bas, le prestige de l’héroïsme et du malheur. Un froid silence accueille cette apologie officielle, cet appel intempestif qui s’adresse à des dévoûmens aigris et fatigués. Alors se lève l’orateur de l’opposition, débordant de haines et de ressentimens accumulés, de projets impatiens d’aboutir, s’autorisant des rumeurs menaçantes du dehors, et, à travers les emportemens d’une indignation légitime, ourdissant la trame des ambitions égoïstes d’un parti. Robert Le Coq, évêque de Laon, ancien avocat et maître des requêtes au parlement, « esprit léger, périlleux en paroles et très mauvaise langue », vendu à Charles de Navarre, candidat au chapeau de cardinal et au poste de chancelier de France, — une sorte de Retz du XIVe siècle, — donne le signal d’un éclat que tout le