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états ; il est temps d’en fixer les souvenirs épars, de signaler l’influence qu’elle a exercée, de mettre en lumière les talens qui lui ont donné une forme vivante et personnelle.


I

Le gouvernement de la parole a commencé en France au milieu du XIVe siècle, pendant l’interrègne de liberté populaire qui suivit la défaite de Poitiers et précéda l’avènement du roi Charles V. Sous le coup de ce désastre qui annulait la royauté captive, détruisait le prestige militaire de la féodalité et compromettait l’indépendance de la nation, le pouvoir s’était brusquement déplacé ; dans le vide où tant de forces sociales venaient de s’affaisser et de disparaître, deux puissances nouvelles avaient surgi et se montraient seules : une assemblée d’états réunie au palais, et une commune de Paris siégeant en place de Grève à l’Hôtel de Ville. Autour de ces deux gouvernemens intérimaires, grondait l’émeute de la rue et de l’école, attendant ou donnant l’impulsion. Pour diriger la foule soulevée et l’assemblée maîtresse, il restait une force, nouvelle aussi, sans art encore et sans expérience, la parole : de tous côtés s’élevèrent, dans les états, à l’Hôtel de Ville, dans les noirs carrefours du Paris gothique, des tribuns improvisés, des meneurs de parti, des chefs de clubs et de barricades, puissans par leur inculte véhémence et par cette rhétorique grossière que la passion enseigne ; tout ce monde de harangueurs semi-barbares, éclos en quelques jours de l’effervescence publique, reproduisait à son insu, sous des costumes du XIVe siècle, les types classiques de la sédition et jouait d’instinct, avec l’ardeur d’un zèle ignorant, les éternels personnages des drames révolutionnaires.

Jusque-là, de 1302 à 1355, on avait vu souvent s’assembler en grande pompe les états-généraux, d’institution récente ; ces premières assemblées, nombreuses, actives, avaient pris d’importantes résolutions, que M. Hervieu a fort savamment analysées : elles avaient combattu l’ultramontanisme, détruit les templiers, maintenu la loi salique, exclu un prince anglais du trône et généreusement aidé les rois dans leurs guerres contre la Flandre ou l’Angleterre. Plus d’une fois elles avaient déclaré, en réponse aux pressans appels de la couronne, « qu’elles voulaient vivre et morir avec le roy et mettre corps et avoir à son servise. » Des questions aussi sérieuses et d’aussi hautes matières ne s’étaient pas traitées, assurément, sans débats et sans discours ; mais l’histoire, en s’attachant aux faits, a négligé les paroles, elle n’a retenu, de ces délibérations, que les résultats. Nous possédons, traduite en latin, la fière et brève déclaration de Philippe le Bel contre les prétentions de