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La prise d’Alger avait eu lieu le 5 juillet. Cinq jours plus tard, Hussein-Dey s’embarquait avec ses femmes et ses serviteurs pour Naples, où il prit terre le 31 juillet. En y arrivant, il apprit que le puissant monarque dont les troupes avaient précipité sa chute, chassé comme lui de ses états, errait fugitif et allait demander asile à l’Angleterre, comme lui-même venait demander asile à l’Italie. Du moins, avant cette catastrophe, Charles X avait osé déclarer, à la face de l’Europe et malgré le gouvernement britannique, que la France garderait sa conquête. En des temps moins troublés, un événement de cette importance aurait suffi pour rendre sa popularité au pouvoir le plus compromis. Mais, après les irréparables fautes du ministère Polignac, trop dépassions étaient déchaînées pour que les cœurs pussent s’ouvrir aux émotions que donne la gloire ; la nouvelle de la victoire de nos armes passa presque inaperçue à Paris. C’est plus tard seulement que la nation française devait connaître et apprécier tout ce que contenait cette victoire. À cette heure, elle était toute à son ressentiment ; aucun des membres du gouvernement ne trouvait grâce devant elle, pas plus le roi que ses ministres, pas même le comte de Bourmont, qui venait d’être élevé au grade de maréchal de France, en même temps que le vice-amiral Duperré était fait amiral, mais dont la carrière était désormais finie. Après avoir eu l’honneur de planter sur le sol arabe, avec le drapeau français, le premier jalon de la civilisation, il devait à quelques jours de là, remplacé par le général Clausel, s’éloigner obscurément sur un navire étranger[1] de la belle armée qu’il avait commandée, à peine salué par quelques coups de canon que son successeur eut la générosité de faire tirer pour saluer son départ, et n’emportant d’autre prix de sa valeur que le cœur de son second fils, mort en combattant. Ce sont là de douloureux et grands souvenirs que l’histoire ne saurait évoquer sans leur rendre hommage et réparer ainsi l’injustice dans laquelle ils sont restés longtemps enveloppés. Le temps, en passant sur eux, permet d’ailleurs de les juger avec plus d’équité que ne Font fait les contemporains. Aujourd’hui, les cœurs généreux se plaisent à les rapprocher des dernières journées du règne de Charles X, si tragiques et si fatales. Ils mettent impartialement en regard de l’imprudente conduite du vieux roi cette glorieuse conquête d’Alger qui honore sa mémoire, et de laquelle on peut dire avec plus de justice qu’on ne l’a dit des ordonnances de juillet qu’elle constitue le véritable testament du gouvernement de la restauration.


ERNEST DAUDET.

  1. Lui appliquant toute la rigueur des règlemens, l’amiral Duperré refusa de le faire transporter sur un bâtiment de l’état à Mahon, où il désirait se rendre.