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chiffre, une réserve expresse en faveur des créanciers des fournisseurs. Cette réserve avait eu pour conséquence de retenir dans les caisses du trésor français environ 2,500,000 francs, montant d’oppositions diverses formées entre ses mains et sur lesquelles les tribunaux étaient appelés à prononcer. Ignorant de nos lois comme des règles de notre comptabilité publique, Hussein-Dey s’irrita des retards opposés à ses réclamations. Il fit entendre des sommations impertinentes, manifesta sa colère en ordonnant des perquisitions dans la maison du consul de France à Bone, sous prétexte que cet agent était soupçonné de fournir de la poudre et des balles aux Kabyles insurgés ; enfin, il lâcha de nouveau ses bâtimens corsaires dans la Méditerranée, attaquant tour à tour, un navire romain protégé par la France, un navire français du port de Bastia et le bateau-poste faisant le service entre Toulon et la Corse. L’envoi de deux vaisseaux de guerre dans les eaux d’Alger l’obligea à désavouer la conduite de ses corsaires à l’égard du pavillon français ; mais persistant à déclarer que le bâtiment romain était de bonne prise, il ne voulut mettre en liberté que l’équipage. En même temps, s’imaginant que les contre-temps dont il se plaignait étaient l’œuvre de M. Deval, l’accusant de retenir ses lettres et les réponses des ministres du roi, il exigea le rappel immédiat du consul, que ceux-ci refusèrent d’ailleurs de lui accorder, bornant momentanément à ce refus la répression d’impertinences avec lesquelles ils étaient résolus d’en finir aussitôt qu’ils seraient sortis des difficultés que créaient au cabinet Villèle les affaires d’Espagne et l’insurrection de la Grèce contre l’empire ottoman.

Les choses en étaient là quand, au mois d’avril 1827, la veille de la fête du Baïram, M. Deval se présenta selon l’usage à la Casbah pour complimenter le dey. Celui-ci, sans lui laisser le temps de parler, reprit ses vieux griefs, les fit valoir avec force, se plaignit en dernier lieu que le ministre des affaires étrangères de France n’eût pas répondu à une lettre qu’il lui avait précédemment adressée. « — J’ai eu l’honneur de vous en porter la réponse, aussitôt que je l’ai reçue, répondit M. Deval. — Pourquoi ne m’a-t-il pas répondu directement ? s’écria Hussein-Dey. Suis-je un manant, un homme de boue, un va-nu-pieds ? Mais, c’est vous qui êtes la cause que je n’ai pas reçu la réponse de votre ministre ; c’est vous qui lui avez insinué de ne pas m’écrire ! Vous êtes un méchant, un infidèle, un idolâtre ! » Se levant alors, il porta à M. Deval avec le manche de son chasse-mouches trois coups violens sur le corps et lui ordonna de se retirer. M. Deval n’obéit pas sur-le-champ ; il voulut répéter qu’il avait transmis fidèlement au ministre du roi la lettre du dey. Mais celui-ci l’interrompit ; proférant de nouvelles menaces, il lui enjoignit de nouveau de sortir. Rentré au consulat, M.