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l’importance qu’elle pourrait acquérir dans cette partie du globe.

Autrefois Tuatara, dans ses entretiens, avait parlé de la Hokianga[1] comme d’une très belle rivière qui se jette dans la mer sur la côte occidentale de l’île. Deux membres de la mission de Rangihou, ayant effectué le voyage, confirmaient le récit de l’indigène. Le révérend Samuel Marsden prit le parti de pousser une reconnaissance dans la région. Accompagné de trois de ses confrères, de trois chefs néo-zélandais et d’une suite pour porter les bagages, il se mit en route. On traverse d’abord un espace de plusieurs milles où s’entremêlent les fougères et les broussailles de toute sorte, ensuite une vaste marais, puis un pays découvert. Comme il faut prendre du repos, les naturels construisent au plus vite une cabane avec des branches d’arbres. Au soir, la pluie tombe, les mugissemens du vent sont effroyables, les missionnaires anglais se rappellent qu’ils sont loin de la patrie, chez un peuple d’anthropophages, et chacun ressent l’oppression qui éprouve les âmes les plus fortes aux heures de la nuit, lorsque l’imagination est aux prises avec des dangers invisibles ; mais le corps étant brisé de fatigue, le sommeil ne tarde point à engourdir l’esprit. Dès le réveil, les indigènes allument de grands feux pour combattre le froid humide : on prépare le repas du matin et, les forces revenues, on s’engage dans un bois. Le sol se trouvant détrempé par la pluie, la marche est lente et pénible ; le terrain ne cessant de s’élever, au sortir de la forêt, on atteint une position qui domine toute la contrée environnante. Vers le sud s’étend une plaine immense, couverte d’une végétation magnifique ; aux pieds du spectateur, les cimes touffues des arbres s’étalent de façon à présenter l’aspect d’une surface unie comme la mer. Au premier village qu’on rencontre, les chefs se montrent prévenans à l’égard des étrangers ; informés de leur désir de vérifier si les navires pourraient entrer dans la rivière, ils expriment l’envie d’avoir parmi eux quelques Européens capables d’enseigner l’agriculture et l’art de construire des routes. On atteint la bourgade de Houtakoura, située sur un des affluens de la Hokianga, où le chef accueille les voyageurs avec la politesse grave d’un prince, en offrant la plus large hospitalité. Tout à coup, à la grande surprise des missionnaires, une effervescence se prononce dans la population, des rixes s’engagent ; il s’agissait des coquetteries d’une femme, les fureurs se calmèrent assez vite. Les enfans, la plupart gentils, sont nombreux, et si l’idée de M. Marsden avait pu être satisfaite, tous auraient appris l’anglais. En descendante cours de la rivière, jusqu’à son embouchure, on traverse beaucoup de gros villages, et le maître chapelain juge plus d’un endroit propice à l’établissement d’une colonie.

  1. Ce nom fut d’abord écrit Shouki-Anga.