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localité, le chapelain décida qu’on y établirait un poste, et Koro-koro promit de rassembler les matériaux nécessaires pour élever des constructions. Des chefs de divers districts reprochaient à M. Marsden de ne pas leur amener un forgeron ; tous, avec une insistance extrême, réclamaient des houes, des bêches, des pioches, des haches, des cognées, des vrilles. Les hommes qui voulaient cultiver se servaient, à défaut d’outils convenables, de bêches ou de spatules de bois, insuffisantes pour remuer la terre, et ils s’en montraient fort malheureux. Un chef, interrogé s’il lui plairait de visiter l’Angleterre, assura n’en avoir nul désir, ajoutant : « A Port-Jackson, je suis peu considéré ; je le serais moins encore en Angleterre, tandis qu’en mon pays je suis roi. » Marsden cherchant à dissuader un personnage de se faire tatouer, lui représentait que la coutume était barbare, l’insulaire répondit devoir se soumettre à l’usage s’il tenait à manifester son rang. Les colons entendaient toujours parler d’hostilités entre les tribus ; l’une menaçait Hongi, plus souvent Hongi portait la guerre chez ses voisins. De temps à autre, on voyait à Rangihou des têtes plantées sur des pieux ; c’est ce qui arriva au retour d’un expédition qui était allée jusqu’au cap Oriental[1]. Les têtes des chefs tués dans les combats sont préparées et conservées ; si la paix se conclut, elles sont remises aux parens des victimes. Les corps, aussitôt après la victoire, sont coupés et les morceaux distribués entre les guerriers ; en quelques circonstances, on en expédie une part à des amis éloignés, comme on fait ailleurs d’une pièce de gibier.

Un jour, M. Marsden ayant déclaré l’intention d’offrir, soit une pioche, soit une hache à ceux qui n’en avaient pas reçu depuis l’origine de l’établissement, plusieurs centaines d’insulaires vinrent assiéger la demeure des colons ; — on disposait d’une soixantaine d’objets. Lorsqu’il n’y eut plus rien à donner, un murmure trahissant une immense déception courut parmi la foule. Le maître chapelain s’esquiva pour se soustraire aux obsessions de gens qui montraient des mains écorchées faute d’un bon outil. En quelle estime, en effet, devaient être tenus les instrumens de fer par les hommes ne possédant que des haches en pierre pour couper des arbres, des coquilles pour tailler le bois, des bêches en bois pour remuer la terre ! Un canot de grande dimension ayant été construit pour le service de la mission, M. Marsden le fit charger de planches et s’embarqua pour Kerikeri, avec les deux ministres évangéliques désignés pour l’occupation de ce poste et trois charpentiers. Sur le terrain même, on traça le plan de plusieurs constructions, et les ouvriers se mirent à l’œuvre. De la vigne fut plantée ; d’après la nature du sol, on augurait favorablement de cette culture et l’on songeait à

  1. East Cape.