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couraient-ils le pays raconter combien une femme européenne qui met un homme au monde fait de grimaces et pousse de gémissemens, tandis que, la Néo-Zélandaise s’asseyant tranquillement à terre au milieu des siens, l’acte s’accomplit sans qu’elle profère une plainte.

Un événement des plus graves pour les Anglais établis dans le district de Tepuna produisit une douloureuse impression. Tuatara, le chef dont l’amitié avait un prix inestimable, était tombé malade, demeurant en proie à une fièvre ardente. Les missionnaires lui faisaient des visites, mais de ce côté s’élevèrent bientôt des difficultés ; le fameux tabou interdisait aux étrangers l’accès de la hutte. Une fois, M. Marsden ne put approcher du malade qu’après avoir multiplié les prières et plus encore les menaces. Chaque jour s’aggravait la situation du malheureux ami des Anglais ; sa fin semblait devoir être prochaine. Malgré tout, M. Marsden, sollicité par les devoirs qu’il avait à remplir comme principal chapelain de la Nouvelle-Galles du sud, ne pouvait davantage prolonger son séjour sur une terre lointaine. La veille de son départ, avec le rangantira appelé à devenir le successeur de Tuatara, il conclut un traité assurant à la société de l’église évangélique la possession perpétuelle d’une certaine étendue de terre située à la partie méridionale de la baie de Tepuna, près de la ville de Rangihou. Le terrain, d’une superficie d’environ deux cents acres, était payé douze haches. Écrit sur parchemin en double expédition, le traité reçut pour garantie, de la part du chef néo-zélandais, le dessin du tatouage de sa joue et d’autre part les signatures de MM. Kendall et Liddiard Nicholas. Qui dira la valeur d’une pareille pièce ? Les insulaires ne conçoivent en aucune façon l’idée de propriétés individuelles, on ne tardera point à s’en apercevoir. Cependant la colonie anglaise est très satisfaite du marché ; elle imagine que toujours sera respectée des indigènes la propriété acquise moyennant douze haches. — Il est vrai quelle fameux tabou a été prononcé.

Le 25 février 1815, au matin, les membres de cette mission conquérante, que l’Active a portés moins de trois mois auparavant sur le rivage de la Nouvelle-Zélande sont agités de sentimens qui oppressent le cœur. L’instant d’une séparation est arrivé, M. Marsden va partir ; il n’est pas le plus malheureux. Il a confiance dans le succès de l’œuvre qu’il commence ; il compte revenir afin de travailler aux progrès de la colonie. Par son maintien, par son caractère, par son langage, cet homme plus que tout autre Européen exerce un ascendant sur les insulaires et il est fier de son prestige. Liddiard Nicholas est le voyageur indépendant qui observe selon sa curiosité ou selon les circonstances du moment ; il quitte volontiers, sans doute, le pays où il a vu un état social singulier, des choses nouvelles et intéressantes qu’il se plaira bientôt