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pas long ; la fameuse baie, que déjà plusieurs navigateurs ont dit faite pour ravir les yeux, cause un transport d’admiration à ceux qui veulent s’établir sur le sol voisin. En pilote consommé, Tuatara dirige le vaisseau et l’amène au mouillage devant Rangihou, village de son domaine que les missionnaires doivent adopter pour leur résidence. Pressés de connaître le pays, Marsden et Nicholas descendent à terre. Là, est une étroite vallée que traverse un petit torrent ; des plantations régulières donnent une idée excellente de l’industrie des habitans. Les hommes, les femmes, les enfans, groupés sur le rivage pour voir les étrangers, ont une contenance parfaite, des physionomies enjouées ; le révérend Marsden se persuade que sa visite procure un réel bonheur à tous ces braves gens. Lorsque les bêtes à cornes et les chevaux sont débarqués, l’étonnement de la population est inexprimable ; tout autre sujet est oublié. C’est mieux encore à la vue de l’homme monté sur son cheval, trottant sur la grève ; — il y eut sans doute bien des efforts d’esprit pour expliquer le phénomène.

Tuatara conduit les Anglais dans sa capitale : Tepuna ; c’est affaire de peine et de fatigue pour y parvenir, car elle est au sommet d’une colline escarpée. On aperçoit de loin les défenses habituelles : enceinte de pieux et fossés ; les fortifications franchies, on se trouve au milieu d’une cité se composant d’une centaine de misérables huttes. La case du chef ne se distingue des autres que par des proportions plus grandes ; on n’y pouvait entrer qu’en rampant sur les genoux et sur les mains. A considérer l’intérieur, on n’était nullement dédommagé de l’ennui de s’être condamné à prendre une attitude déplaisante ; le mobilier consistait en quelques pierres servant de foyer ; la fumée, n’ayant d’issue que par la porte étroite et basse, on respirait des vapeurs suffocantes. A la vérité, à ces affreuses demeures, il existe une sorte de compensation : on a des hangars où circulent l’air et la lumière, jamais ailleurs on ne prend les repas. A défaut du luxe des habitations, il y a le luxe de la nature ; les amateurs passionnés de beaux panoramas pourraient choisir le séjour de Tepuna. La vue embrasse la plus grande partie de l’immense baie avec ses nombreuses îles et toute la contrée d’alentour, — le spectacle est magnifique. Tuatara avait trois femmes ; une d’elles, reine aux yeux du peuple, sans trop inspirer de jalousie à ses compagnes, exerçait un ascendant sur son mari. Les étrangers étant présentés à cette souveraine, Marsden lui offrit une robe de cotonnade en l’instruisant de la manière de passer les manches, poussant même la galanterie jusqu’à lui fournir un peu d’aide. Revêtue de l’accoutrement européen, la Néo-Zélandaise, prodigieusement flattée, marchait en prenant des poses comme une vraie sultane qui est certaine de provoquer