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la baie se déchargent, venant d’une source commune, deux rivières fort suivies en été par les naturels de l’intérieur qui descendent à la côte pour se livrer à la pêche.

Le lendemain on était devant le port de Wangaroa, que la catastrophe du Boyd a rendu célèbre. Le spectacle est enchanteur ; Liddiard Nicholas dit n’avoir nulle part ailleurs vu pays aussi plein de séductions ; il se juge incapable de peindre les scènes sublimes de la nature qu’il contemple pour la première fois. Deux chaînes de hautes montagnes, courant dans une direction parallèle aussi loin qu’il est possible de distinguer, produisent un saisissant contraste avec les collines sans nombre qui, toutes boisées, répandent une impression de fraîcheur, et les petites îles qui se détachant les unes des autres se confondent néanmoins d’une façon harmonieuse dans un ensemble superbe. Tandis que les missionnaires descendent sur un îlot, Tuatara se porte sur la grande terre ; il ne tarde pas à revenir annoncer qu’à peu de distance le fameux George et un autre chef campent au milieu d’une centaine de guerriers, réunis pour rendre les honneurs funèbres à un vieux personnage. Tuatara avait forcé George, naguère son ennemi, à une réconciliation et l’avait instruit au sujet de l’établissement que le révérend Samuel Marsden allait fonder. Comme il importe beaucoup de se rendre propices les tribus qui souvent attaquèrent Tepuna, où la mission doit se fixer, le chapelain de la Nouvelle-Galles du Sud tient à se mettre en rapport avec George et va tout de suite à sa rencontre en compagnie des membres de l’expédition. On arrive près du camp et l’on observe ; une femme agite une natte rouge en signe de bon accueil et d’une voix perçante invite les étrangers à venir. Tuatara et Hongi préparent l’introduction ; Marsden et les siens se présentent et saluent. Les chefs, au nombre de trois, sont debout, leurs guerriers assis, la lance fichée en terre. Bientôt se conclut le traité d’amitié au milieu du vacarme des coups de feu et des cris accompagnant les danses les plus désordonnées. On nous dira que ces guerriers, tous d’une taille extrêmement élevée, vêtus de nattes plus ou moins chargées d’ornemens et teintes de couleurs vives, ont un aspect singulièrement imposant. Chacun d’eux porte au ceinturon la terrible massue[1], dont tout guerrier néo-zélandais est aussi fier qu’en Europe le jeune officier de cavalerie de son grand sabre. Les missionnaires se voient au milieu des hommes qui ont massacré l’équipage et les passagers du Boyd, — plusieurs portent attachées sur la poitrine des pièces de monnaie prises sur le navire incendié. C’est assez pour inspirer certaines réflexions un peu pénibles, surtout au moment où Marsden et Nicholas songent

  1. Le pattou-pattou.