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piques ou les lances se choquent, se croisent et blessent cruellement de leur pointe d’os barbelé ; sur les ; corps nus le sang ruisselle. Quelques momens encore, et la mêlée devient générale ; sous les coups de massue, les visages sont écrasés, les chairs meurtries, les crânes fracassés ; râlent des mourans couchés à terre. L’avantage se prononçant d’un côté, les vainqueurs que le succès enhardit déploient les dernières fureurs contre ceux qui s’obstinent à vendre chèrement leur vie. Sur d’autres théâtres, on a pu contempler des scènes de carnage non moins effroyables, mais après la lutte tout était fini. Sur les champs de bataille de la Nouvelle-Zélande, tout n’est pas fini lorsqu’il ne reste plus d’ennemis à vaincre ; les morts qui gisent dans la poussière vont être dépecés ; les feux s’allument, et bientôt les cannibales, jetant des cris de triomphe, se mettent au festin.

La vision est horrible, mais plus douloureuse demeure l’impression d’épouvante qu’excite le souvenir des massacres de nombre d’Européens. A la pensée des actes de cruauté, on oublie l’hospitalité, les marques de courtoisie, les amabilités que des familles entières ont parfois prodiguées aux étrangers. Aussi, pendant une assez longue suite d’années, on redoute d’approcher des rivages de la Nouvelle-Zélande. Des circonstances vinrent contribuer néanmoins à maintenir des communications avec cette terre. La colonie de la Nouvelle-Galles du sud s’était fondée ; la Nouvelle-Zélande fournissait des bois de construction qu’on n’avait point en Australie ; dans ses eaux, les baleines étaient nombreuses, les phoques et les otaries en abondance. Pour l’amour du lucre, on s’expose à bien des dangers ; baleiniers et chasseurs de phoques s’aventuraient parmi les insulaires. Aux premiers jours de l’établissement des Anglais au Port-Jackson, sans s’éloigner des côtes de la Nouvelle-Hollande, la poursuite des baleines donnait de beaux résultats. Les pêcheurs se multiplièrent ; en peu d’années fut tarie la source des gros profits. Alors les marins de la colonie songèrent à explorer les parages de la Nouvelle-Zélande. La réputation de férocité des habitans, qui s’était répandue dans le monde entier, ne cessait d’inquiéter, mais on convint tout d’abord de ne se mêler aux naturels qu’avec précaution, de se tenir toujours en alerte, de ne jamais provoquer d’hostilités. De si parfaites dispositions conduisirent au succès ; on entendit chaque capitaine de navire se louer de l’accueil des Néo-Zélandais. La réserve devait être difficile à garder pour les coureurs de la mer ; une fois la crainte bannie, la nature reprenait son empire. Se trouvaient en présence les baleiniers, hommes rudes, grossiers, sans conscience, sans loyauté, pleins de mépris pour ceux qu’ils traitaient de sauvages, et les Néo-Zélandais, hommes fiers, hospitaliers, très susceptibles de