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Ce n’est pas seulement aux catholiques que M. Carteret s’est piqué de faire entendre raison ; il a voulu que les protestans lui eussent la même obligation. Autrefois, pour être pasteur dans l’église nationale de Genève, il fallait admettre un peu de surnaturel, croire au moins à la divine inspiration des écritures. M. Carteret a décidé que désormais il suffirait pour cela d’être gradué en théologie, d’avoir passé de bons examens. Aussi a-t-on pu avancer sans exagération qu’aujourd’hui rien ne s’oppose à ce qu’un pasteur genevois, au lieu d’emprunter à la Bible le texte de son sermon, le prenne dans les Védas, dans le Coran ou dans le Zend-Avesta et prêche au lieu du christianisme telle autre religion ou telle autre philosophie en renom, ou même une religion absolument nouvelle. — « Il y a deux énormités qui se valent, disait M. Coulin dans sa conférence : l’une est de prétendre imposer une croyance à la nation, l’autre de prétendre interdire à l’église d’en professer une. C’est ici que vous touchez au doigt la distinction des deux domaines. Appliquez le principe de l’église à l’état, appliquez le principe de l’état à l’église, dans les deux cas vous vous rendez coupable d’un criant abus, gros de toutes les intolérances, jusqu’à la persécution inclusivement. « Il ajoutait que de fait on a imposé à l’église protestante un dogme nouveau, qui peut se formuler ainsi : « L’église nationale de Genève approuve et recommande indifféremment toutes les doctrines religieuses, et tout pasteur de cette église doit être prêt soit à enseigner lui-même, soit à laisser enseigner par d’autres sous son nom et sous sa responsabilité le blanc, le noir, le oui, le non et toutes les nuances intermédiaires dans toutes les questions de l’ordre religieux. » M. Carteret a fait de l’église nationale de Genève un grand caravansérail, une vaste hôtellerie, ouverte à tout venant, où l’héritier du nom vit coude à coude avec l’étranger ; c’est une maison qui appartient à tout le monde et dans laquelle personne n’a le plaisir de se sentir chez soi. Or quand on est mal quelque part, on s’en va. Voilà pourquoi les orthodoxes veulent s’en aller. — « On a dit, s’écriait l’orateur que nous avons cité, que le rôle de l’état est de nourrir et de conduire non-seulement le citoyen, mais aussi le chrétien, que si l’état n’avait affaire qu’à des ânes, un fouet et une poignée de chardons suffiraient, mais que comme nous sommes plus que des ânes, il faut ajouter quelque chose encore, on ne dit pas quoi. Nous trouvons, nous, que c’est pousser la débonnaireté un peu loin, que le fouet et le chardon sont déjà de trop ; car, si j’ai bien compris la métaphore, la boite de chardons, c’est sans doute le budget des cultes, et quant au fouet, il ne peut représenter que certaines lois ecclésiastiques, appliquées souvent, comme on le sait, d’une manière forte. Nous demandons qu’on veuille bien nous faire grâce de cette discipline officielle, en retour de quoi nous sommes prêts à renoncer à la pitance officielle aussi. »