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qu’un athée ou un calviniste. » Est-il juste de les contraindre à fournir aux frais d’un enseignement qu’ils réprouvent, quand ils ont déjà à payer de leur bourse des instituteurs à leur choix et selon leur goût ? D’autres enfin sont affiliés à la société de la paix, ils considèrent les armées permanentes comme une invention impie, diabolique et calamiteuse ; ils ne laissent pas d’acquitter leur part du budget de la guerre. L’Évangile nous enjoint d’aimer tout le monde, même nos ennemis ; c’est beaucoup nous demander. Les gouvernemens se contentent de dire aux contribuables : « Gênez-vous un peu les uns pour les autres, c’est le fond de la vie en société. » Libre à chacun de raisonner et de se plaindre, pourvu qu’il paie ; autrement il n’y aurait plus de ministre des finances qui sût où donner de la tête.

Les orthodoxes protestans sont arrivés aux mêmes conclusions que les philosophes, mais par des raisonnemens fort différens. C’est dans l’intérêt même de leur cause qu’ils ne veulent plus être protégés. Ils pensent que le budget des cultes est une libéralité à titre onéreux, que les charges l’emportent sur les profits, et ils se déclarent prêts à résilier le contrat. Ils affirment qu’aujourd’hui l’état ne rend plus à l’église que des services douteux, qu’en retour il la condamne à de pénibles renoncemens, que ce qu’on lui donne ne vaut pas ce qu’on lui prend. Ils soutiennent qu’il est fâcheux de naître chrétien, comme on naît bourgeois de telle ville ou de tel village, qu’il faut le devenir par un acte de sa volonté, par un choix libre, après s’être demandé ce que l’on croit, après avoir causé avec sa conscience. Ils soutiennent aussi qu’on s’attache à une doctrine en proportion des sacrifices de temps et d’argent qu’on s’impose volontairement pour elle. Ils sont persuadés que la séparation est le seul moyen de réveiller les troupeaux endormis, de réchauffer leur zèle, de secouer leur torpeur, et les exemples ne leur manquent pas pour prouver que les communautés religieuses les plus vivantes, les plus prospères sont celles qui ne doivent rien à l’état. Un pasteur très considéré de l’église nationale de Genève, M. Coulin, disait dans une éloquente conférence qu’il a prononcée le printemps dernier : — « Il est dangereux pour l’église qu’elle soit tentée de s’endormir à l’ombre des faveurs de l’état ; il est dangereux pour elle d’être toujours tenue dans une condition de minorité. On dit que l’assistance démoralise. Cela est tristement vrai dans le sujet qui nous occupe. S’il a pu être opportun pour l’église d’être pendant un temps entretenue, ce que je conteste, n’est-elle pas aujourd’hui en âge et en état de se tenir debout dans le monde et d’y marcher par ses propres forces[1] ? »

Ce qui touche les peuples, ce ne sont pas les théories ni les argumens

  1. La Séparation de l’église et de l’état à Genève, conférence prononcée, le 16 mai 1879, par Coulin, pasteur.