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doute qu’en changeant de religion, il n’ait pas changé de mœurs. » Je ne sache pas que la religion protestante autorise le désordre des mœurs, et il est plus naturel de dire que, dans toutes les religions, les hommes du XVIe siècle ne se piquaient guère de mettre leur conduite en harmonie avec leur foi. Voici qui a plus d’importance : « La secte dans laquelle il avait été élevé était à ses yeux moins une église qu’un parti. » Il avait entendu les ministres de sa cour lui répéter ce qu’ils avaient avoué à Sully : « Qu’on pouvait faire son salut dans la communion de Rome, » et il disait à l’un d’eux qui, devenu plus tard catholique et prêtre, en a rendu témoignage : « Je ne vois ni ordre ni dévotion en cette religion : elle ne gist qu’en un prêche qui n’est autre qu’une langue qui par le bien français. Bref, j’ai ce scrupule qu’il faut croire que véritablement le corps de Notre-Seigneur est au sacrement ; autrement tout ce qu’on fait en la religion n’est qu’une pure cérémonie. » (Palma Cayet.) Henri IV conféra surtout avec ceux qu’il appela pour l’instruire sur trois points : l’invocation des saints, la confession auriculaire et l’autorité des papes. M. de Meaux cite quelques paroles d’Henri IV qui témoignent de la foi à la présence réelle, mais ces paroles ont été prononcées par le roi devenu catholique. On n’en peut rien conclure, non plus que de la part qu’Henri IV prit à la conférence de Fontainebleau, où il s’amusa à mettre aux prises Duperron, l’évêque d’Evreux, le « convertisseur, » et Duplessis-Mornay, « le pape des huguenots. » M. de Meaux invoque à l’appui de sa thèse la douleur exprimée par Paul V à l’annonce de la mort d’Henri IV : « Prince grand, magnanime, sage et incomparable, vrai fils de l’église, affectionné à ce saint-siège ; » les témoignages de saint François de Sales, dont Henri IV avait goûté le tour d’esprit, et qui tenait le roi comme « l’homme le plus capable de remettre l’état ecclésiastique en son ancienne splendeur et de chasser les hérésies. » Assurément, le roi, pacificateur du royaume, assez fort pour imposer sa volonté à tous, dut voir les choses un peu autrement qu’à la veille de cette journée du 25 juillet 1593, quand il écrivait familièrement qu’on lui ferait « haïr Saint-Denis. » Saint-Denis fut l’église où il fit la confession publique de ses erreurs et entendit la messe pour la première fois. « Le dimanche XXVe juillet, j’ai ouy la messe et joint mes prières à celles des autres bons catholiques, comme incorporé en la dite église, avec ferme intention d’y persévérer toute ma vie. » (Lettre du 9 août 1593 au pape.)

La conversion du roi ne mettait pas Henri IV en règle avec l’église. Il lui fallait encore l’absolution du pape. On sait combien elle se fit attendre. La cour de Rome était au fond heureuse d’échapper à la protection tyrannique de l’Espagne et de revoir un « fils aîné de l’église » sur le trône de France ; mais elle fit traîner les