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au nom des catholiques exigeans qui menacent de le quitter s’il ne change tout de suite de religion, il répond ces admirables paroles : « Me prendre à la gorge sur le premier pas de mon avènement, à une heure si dangereuse me cuider traîner à ce qu’on n’a pu forcer tant de simples personnes parce qu’ils ont su mourir !… Oui, le roi de Navarre, comme vous dites, a souffert de grandes misères et ne s’est pas étonné ; peut-il dépouiller l’âme et le cœur à l’entrée de la royauté ?… j’appelle des jugemens de cette compagnie à elle-même quand elle y aura pensé, et quand elle sera complète de plus de pairs de France et officiers que je n’en vois ici. (M. d’O avait rappelé au roi que la succession royale ne pouvait être recueillie qu’avec l’approbation des princes du sang, des pairs de France, des officiers de la couronne, des cours de parlement.) Ceux qui ne pourront attendre une plus mûre délibération, que l’affliction de la France et leur crainte chasse de nous, et qui se rendent à la vaine et briève prospérité des ennemis de l’État, je leur baille congé librement pour aller chercher leur salaire sous des maîtres insolens ; j’aurai parmi les catholiques ceux qui aiment la France et l’honneur. » N’avais-je pas raison de dire qu’à ce moment si critique, quand il sent que dans une heure il donnera « bon ou mauvais branle » à tout le reste de sa vie, le roi est surtout gentilhomme ? Les catholiques eux-mêmes qui le pressaient d’abjurer l’eussent moins estimé s’il l’eût fait sous l’éperon de leur menace. Pour rester vraiment roi, il fallait qu’il parût vraiment libre ; la pensée de la conversion entra sans doute de fort bonne heure dans son esprit, mais Henri IV comprit qu’immédiate elle servait trop au roi, tardive elle servait surtout au royaume. La lettre qu’il écrivait à Gabrielle d’Estrées, le 25 juillet, deux jours avant le « saut périlleux » a-t-elle le ton de l’émotion religieuse ? L’émoi patriotique, l’amour violent de la paix, voilà ce qui éclate au contraire en mille endroits dans les lettres et dans les discours du roi de Navarre. « N’est-ce pas une misère qu’il n’y ait si petit ni si grand en ce royaume qui ne voie le mal, qui ne crie contre les armes, qui ne les nomme la fièvre continue et mortelle de ces états ? et néanmoins, jusques ici, nul n’a ouvert la bouche pour y trouver le remède ; qu’en toute cette assemblée de Blois nul n’ait osé prononcer ce mot sacré de paix, ce mot dans l’effet duquel consiste le bien de ce royaume ? Notre état est extrêmement malade ; chacun le voit, ; on juge la cause du mal être la guerre civile, quel remède ? Nul autre que la paix. »

Ce n’est pas assez pour M. de Meaux : il ne lui suffit pas que Henri ait saisi la conversion comme l’arme suprême contre la ligue, contre Philippe II qui « était dans nos entrailles » : il veut la croire religieuse. Le billet à Gabrielle d’Estrées le gêne ; « il est triste sans