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national : on ne songeait pas à conquérir des villes et des provinces, on voulait faire des conquêtes pour la vérité.


I

Les grandes révolutions sont pareilles aux forces naturelles inconscientes ; elles produisent des effets qui n’étaient point attendus de ceux qui leur donnent le branle. La liberté des cultes est sortie des guerres de religion, et les soldats de ces guerres ne respectaient cette liberté ni les uns ni les autres : « Je voudrais rechercher, dit M. de Meaux dans l’introduction de son livre, comment dans notre patrie un culte reconnu pour faux par la puissance publique a pu être protégé librement par les citoyens, comment la vérité religieuse a cessé d’être munie d’une sanction civile et pénale. Aux yeux de la plupart de mes contemporains, je ne l’ignore pas, c’est la question inverse qu’il conviendrait de poser. Ils trouvent des cultes divers établis et pratiqués parmi eux. Comment les lois humaines se sont-elles jamais occupées d’en prescrire ou d’en proscrire aucun ? Comment ce qu’ils se sont habitués à voir n’a-t-il pas été toujours ? Voilà de quoi ils s’étonnent et sont disposés à s’indigner. Pourtant il est certain que le droit ancien, l’intolérance, est demeuré non-seulement en vigueur, mais unanimement incontesté jusqu’au jour où le protestantisme est parvenu à couper en deux la chrétienté ; que, même après ce partage, le droit nouveau, la tolérance, n’a été professé ni au nom de l’un ni au nom de l’autre culte, que l’un et l’autre au contraire ont continué à revendiquer chacun à leur profit le droit de la vérité de bannir et d’extirper l’erreur, et que, s’ils en sont venus enfin à se supporter, c’est après avoir réciproquement et vainement essayé de s’anéantir. La tolérance ne s’est pas introduite dans le monde comme une règle de justice : elle a d’abord été subie comme une nécessité. »

C’est donc l’avènement de la tolérance que veut raconter M. de Meaux et la façon dont cette nécessité tour à tour disputée et subie a pris dans les âmes le caractère d’un principe ou d’une habitude. Il prend beaucoup de peine pour montrer comment l’intolérance du monde antique s’était glissée dans le christianisme ; comment l’union du pouvoir civil et du pouvoir religieux, qui avait paru chose indispensable aux païens, continua, l’ère des persécutions passées, à sembler désirable aux chrétiens et finit par leur paraître nécessaire. Il saisit, par exemple, chez saint Augustin, la contradiction entre les doctrines de l’église des martyrs et celles de l’église triomphante. Saint Augustin écrit en parlant aux manichéens : « Que ceux-là sévissent contre vous qui ignorent avec quel labeur se découvre la vérité… » Il dit ailleurs : « Que les rois de la terre