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reconnaîtrais. — Ils prennent alors le dessin. — Il n’y a pas un poil qui pende (il n’y a pas de différence) entre ma chambre comme elle est et le dessin qu’on a fait. — Et ce bijou, le connaissez-vous, monsieur Jean ? — Je crois bien que je le connais : c’est l’anneau de mariage. — Très bien, fait le juge. Ceci c’est une mèche du chignon de madame votre femme. La reconnaîtriez-vous ? sont-ce bien ses cheveux ? — Je crois bien, ces cheveux sont aussi à elle. A merveille ! ma tête paiera. — On l’emmena de la police, on fixa le jour et l’heure où on devait lui couper la tête sur la place de Constantinople. Un chuchotement s’éleva partout. — Voyez, pauvre monsieur Jean ! il l’a eue, la belle femme, et pour cette belle femme il doit aller à la mort ; — un chuchotement qui ne finissait plus. Je veux dire que la femme de monsieur Jean entendait aussi ce chuchotement, mais elle ne s’expliquait pas ce que cela pouvait être ou ne pas être. Elle appelle sa sœur et lui dit : — Écoute, quand viendra demain la laitière, dis-lui de monter chez moi, que j’ai besoin de lui parler. — Vient la laitière le matin. Elle monte, elle salue : — Bien levée, madame : que voulez-vous de moi ? — Quelle supériorité avez-vous pour me parler avec cette hauteur ? dit la dame. — J’ai honte, inclusivement, même de causer avec vous. — Pour quel motif ? — Le motif est que demain à onze heures, sur la place de Constantinople, on doit couper la tête à votre époux. — A mon époux, on doit lui couper la tête ? — Oui, par votre faute. — Par ma faute ! — Vous avez passé une nuit avec M. Joseph de Constantinople. — J’ai passé ! .. Qui est ce M. Joseph ? — Vous êtes restés ensemble. — Qui est ce M. Joseph ? J’aimerais à le connaître, vu que depuis qu’il a été mis en nourrice je n’ai jamais eu le plaisir de le voir. Sais-tu, laitière ? apporte du lait et du beurre, mais du bon, et viens de bonne heure ; nous déjeunerons nous trois, moi, toi et ma sœur. Et toi alors, tu m’apprendras qui est ce M. Joseph, parce que je ne le connais pas. Je ne connais pas de M. Joseph, moi. Viens, et ne manque pas, hein ? Tu déjeuneras avec moi parce que je veux délivrer de la mort mon légitime époux innocent. Tant lui que moi, innocens tous les deux. — De bon matin revient la laitière avec le beurre, et ils préparent un bon déjeuner, des semelles, des croûtes rôties et tout. La dame répond à la laitière : — Mange seulement, car je vais me préparer, je dois sortir. — Elle remplit un mouchoir blanc de bijoux et, les -met dans les poches de sa robe. Elle dit alors : — Nous allons partir pour aller sur le pont vieux de Constantinople, chez mon joaillier. — La dame et la laitière sont sorties. Elles entrent dans la boutique de l’orfèvre. — Bien venue ! bien trouvé ! orfèvre. Prenez-moi à ce pied ci la mesure d’une pantoufle, et cette pantoufle doit être garnie de tous les bijoux que voici. Que cela soit prêt à l’instant même. — L’orfèvre