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Celui-ci est monsieur son père ; celle-là madame sa mère ; celui-ci son frère et celle-là sa sœur. — Jean salue tout le monde ; ils sortent du bâtiment tous ensemble, et ils s’en vont à terre, et en faisant du chemin ils arrivent au palais de monsieur Jean, de Constantinople.

Quand ils furent entrés dans son palais, il fit crier aussitôt qu’il prenait pour épouse une très belle femme, fille d’un charbonnier très riche. Le mariage fut hâté ; l’époux fit cadeau aux pauvres de pain, de vin et de tant de livres de viande par tête pour six mois. Un jour, le beau-père, qui était le charbonnier, dit à monsieur Jean : — Très cher gendre, vous devez savoir que j’ai tant de livres de charbon dont je ne fais rien : il faut que je retourne à mes affaires — Hé ! Petit François, viens ici, dit monsieur Jean, tu seras celui qui accompagnera chez eux mon beau-père, ma belle-mère, mon beau-frère. Dites-moi, très cher beau-père, n’avez-vous pas de parens au logis ? — Oh ! des parens éloignés. — Éloignés ou proches, je dis que vous leur cédiez tous vos biens ; et toi, Petit François, et vous tous, revenez à Constantinople, car il y a ici de quoi vivre et de quoi faire les messieurs, vous aussi, qui êtes mes égaux…

Or vous devez savoir qu’il y avait un autre monsieur, riche aussi, moins pourtant que monsieur Jean. M. Joseph étant au café, le cafetier lui dit : — Oh ! monsieur, il y a tant de temps qu’on ne vous voit pas dans ma boutique. Vous avez sans doute été invité au mariage de monsieur Jean ? — Point du tout, je n’ai pas été invité. — Eh ! monsieur Joseph, je vous dirai pourquoi vous n’avez pas été invité ; c’est que monsieur Jean sait fort bien que vous êtes le coq de l’endroit. — Moi, le coq ? vous voulez rire. Combien y a-t-il de temps que monsieur Jean n’est pas venu ici ? — Il y a bien longtemps. — S’il venait par hasard, je voudrais faire avec lui un beau pari : je gage de passer dix minutes seul à seul avec sa femme. Si j’y réussis, je demande sa tête ; il aura la mienne, si je n’y réussis pas. Voilà le pari que je fais. Si vous avez l’occasion de le voir et de l’en informer, envoyez-moi chercher, je viendrai tout de suite. — Oui, monsieur Joseph. — Adieu, cafetier. — Adieu, adieu.

M. Joseph s’en va, et une dizaine de minutes après, comme qui dirait un demi-quart d’heure, voici monsieur Jean qui entre au café : — Oh ! monsieur Jean, bien venu ! Si vous étiez arrivé tout à l’heure vous auriez trouvé M. Joseph. — Qui ? cet imbécile ? — Il a laissé ici un message pour vous. — Un message pour moi ? — Il a laissé ce message qu’il ferait volontiers un pari. — Et quel pari veut-il faire ? — De passer dix minutes avec votre femme. — Je le fais, je le fais ! Et que veut-il parier ? — Votre tête s’il y réussit ; s’il n’y réussit pas, la sienne. — Je le fais, je le fais ! Allez me l’appeler. On envoie un garçon de la boutique, d’autres courent les environs