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ils tombèrent évanouis. On leur fit respirer de l’eau parfumée et ils reprirent connaissance ; les caisses furent ouvertes, et chacun les trouva pleines de barres d’or. Le père acheta une croix de chevalier, une épée, et conduisit son fils au casino des nobles. Là, chacun se vantait de son bien. L’un disait : — J’ai une très belle villa ; l’autre : — J’ai une très belle maison. — Léonbrun se tenait dans un coin et ne soufflait mot. — Et vous, monsieur, lui demanda-t-on, n’avez-vous rien de beau ? — Il répondit : — J’ai une très belle épouse légitime. — Une très belle épouse ! Nous vous donnons trois jours pour nous la montrer. — C’est impossible, elle demeure beaucoup trop loin, et je ne saurais comment la transporter au casino. — Nous voulons la voir d’ici à trois jours, ou vous le paierez de votre tête. — Le premier jour, Léonbrun frotta le mur avec son anneau : apparut une belle camériste d’Aquilina vêtue en reine. — Est-ce là votre légitime épouse ? — Non, répondit Léonbrun, et la camériste disparut. (Tête de goujon ! s’écrie la bonne femme qui raconte l’histoire, il aurait pu répondre oui.) — Le second jour, il frotta de nouveau le mur : apparut une seconde camériste d’Aquilina, plus belle que la première. — Est-ce là votre légitime épouse ? — Non, répondit Léonbrun. — La camériste lui tourna le dos et s’évapora comme une ombre. — Seigneur chevalier, dirent les assistans, c’est demain le dernier jour. Il y va de votre tête si nous ne voyons pas la légitime épouse que vous dites avoir. — Le troisième jour, il pria si fortement la dame Aquilina de venir qu’elle apparut en personne. — Est-ce là votre légitime épouse ? — Oui, messieurs. — Ah ! enfin on l’a vue. — Elle va droit à Léonbrun, lui arrache l’anneau, lui donne un revers de main (manrovescio) et disparaît en disant : — Adieu, tu l’as eue, ton épouse.

Léonbrun s’en revient avec M. son père, pleurant et soupirant. — Que pleures-tu et que soupires-tu, mon cher fils ? Tu as apporté tant de richesses, il y a de quoi vivre nous tous, et si tes frères se marient, tous leurs enfans aussi. Léonbrun répondit à M. son père : — Écoutez, je n’aurai point de paix si je ne vais pas chercher ma légitime épouse. Le père lui donne de l’argent, des lettres de change, Léonbrun embrasse tout le monde, promet d’écrire, et adieu, adieu ! Il marche, marche, marche encore, marche toujours, trouve une auberge, y descend. Il se rafraîchit, paie l’aubergiste et lui demande : — Sauriez-vous où demeure une certaine Mme  Aquilina ? — Allons donc ! (ché !) on n’a jamais entendu de nom pareil ! — Et Léonbrun se remet en chemin, trotte de plus belle, trotte encore et toujours et arrive dans un endroit où deux hommes se disputaient. Il regarde au fond du ravin, et il les voit qui se partageaient des richesses : c’étaient deux assassins. — Non, disait l’un, tu n’as