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devant le roi, qui lui offrit cent écus pour le poisson merveilleux. Angelot refusa. — Que veux-tu donc ? demanda le roi. — Je veux cent coups d’étrivières. Le roi le crut fou, mais, Angelot tenant bon, finit par accepter le marché. Il fit appeler quatre soldats et voulut que l’exécution eût lieu à l’instant même dans la salle d’audience, afin que tout le monde pût y assister assis. Angelot fit alors appeler la première sentinelle. — Celui-ci, dit-il au roi, m’a demandé la moitié de la récompense : la justice exige qu’il soit payé comptant. Ainsi fut fait, et le soldat, qui sautait comme un chevreau, reçut cinquante coups de verge. Angelot fit venir la seconde sentinelle, qui en reçut vingt-cinq, puis la troisième, qui tremblait comme une feuille et qui eut aussi ce qui lui revenait. Le roi dit alors : — Il en reste douze pour toi. — C’est juste, répondit Angelot, mais je veux voir si je trouve quelqu’un qui les achète. Sur quoi il sortit et courut la ville ; il trouva une boutique où l’on vendait des étrivières, il demanda ce qu’elles coûtaient : — Douze paoli pièce. — J’en ai douze chez le roi, reprit Angelot ; je vous les vends deux paoli. — Je les prends. — Mais il faut que vous veniez avec moi. Ils arrivèrent à la salle d’audience, et Angelot présenta le marchand. — Voici l’homme qui vient d’acheter les étrivières. — Est-ce vrai ? demanda le roi en souriant. — Oui, votre majesté. — Qu’on les lui donne donc à l’instant même. — L’homme eut beau se débattre en disant qu’il avait acheté les étrivières et non les coups : le même mot en italien comme en français sert à désigner le supplice et l’instrument du supplice. L’aventure divertit si fort le roi qu’Angelot eut depuis lors une pension de cinq lires par jour. Il fit un très beau dîner et y invita sa mère et ses frères. La nouvelle, écrite manu propria, par un simple ouvrier du Montale Pistojese, nommé Pietro de Canestrino, se termine par ces deux vers, aussi mal rimes en italien qu’en français :

Ma nouvelle n’est pas longue,
Coupez-vous le nez, je me coupe les ongles.


Les Toscans se plaisent aux récits de fourberies, surtout quand ils peuvent montrer les plus fins jouant les plus forts et les plus simples jouant les plus fins : témoin l’histoire de Manfane, Tanfane et Zufilo, que racontent les vieilles femmes de Prato. On y retrouvera le sac de Tabarin et de Scapin, ce sac bouffon que Triboulet a rendu tragique.

C’étaient trois frères qui élevaient en commun des bêtes à cornes. — Partageons-nous le troupeau, dirent les deux premiers ; que chacun de nous s’enferme dans un enclos et qu’il ait pour sa part toutes les bêtes qui viendront à lui. — Ainsi décidé, chacun arrangea sa clôture : celles de Manfane et de Tanfane furent de belles branches feuillues et vertes ; Zufilo, qui était simple, se fit une