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a une tante très grande dame dans un pays voisin. Et il y va. Quand il est sur la route, il rencontre un bâton qui lui dit : — Cheminons ensemble. — Mais non, mais non, qu’ai-je affaire de toi ? — Tu verras que je te serai bon à quelque chose. — Serviteur. Le bâton vient avec lui. Quelques pas plus loin, le fils rencontre une roue qui lui dit : — Cheminons ensemble. — Mais non, qu’ai-je affaire de toi ? — Tu verras que je t’aiderai. — Puis il rencontre une épingle, puis un lion, puis quelque chose d’assez malpropre, et tout cela vient avec lui. Il arrive chez sa tante, qui était sortie ; alors le bâton lui dit : — Cache-moi derrière la cloison. — La roue lui dit : — Et moi derrière les chaises. — La chose malpropre : — Et moi sur la pelle. — L’épingle : — Pique-moi sur l’essuie-mains. — Le lion dit : — Moi je vais dans le lit. — Le fils monta au grenier. Rentra la tante. A peine eut-elle passé la porte, le bâton lui donne quantité de coups ; elle fait un pas, la roue lui roule sur les pieds ; elle saisit la pelle pour prendre un peu de feu et se salit les doigts ; elle va s’essuyer à la serviette et se pique : ennuyée de ces mésaventures, elle va se mettre au lit ; le lion la mange. Alors le fils descend du grenier : il a pris tout l’argent de sa tante, et il a fait le grand seigneur.

Ce n’est pas plus moral que cela. Le conte du savetier est moins enfantin. Nous en donnons une traduction littérale :

Il y avait une fois un savetier qui, las de tirer le ligneul, pensait au moyen de gagner gros. Pendant qu’il se tenait le nez en l’air à compter les poutres, il oubliait qu’il avait mis sur le bahut une jatte de lait, et les mouches, parce qu’on était en été, avaient couru en foule sur le lait, tellement qu’il était devenu tout noir. Alors le savetier s’aperçoit de la chose et se lève tout en fureur, élargit la main comme font ceux qui attrapent les mouches et donne un grand coup. Il en échappa bon nombre, mais il en resta une partie dans sa main ; il se mit à les compter : il y en avait cinq cents. Alors qu’est-ce qu’il a fait ? Il a fait un grand écriteau où était écrit : Avec une main, j’en tue cinq cents, et il a attaché ce grand écriteau devant sa boutique. Vous devez savoir qu’en ce temps-là le roi était en grande guerre contre son voisin. Mais il avait toujours été battu ; tant qu’un jour en se sauvant il passa avec sa suite devant la boutique du savetier et il vit le grand écriteau. Aussitôt il fit appeler l’homme, et l’homme, tout transi, craignant qu’on ne lui fît quelque chose, honteux aussi de se trouver en présence de sa majesté, accourut tout de suite.

— Est-ce vrai qu’avec une main vous en tuez cinq cents ? — Oui, répond l’homme, qui se tient là tout tremblant. — Le roi : — Vous sentiriez-vous le courage d’aller combattre les ennemis ? — Le savetier, qui d’une part espérait la fortune et de l’autre avait peur, se dit : — Ou mourir ou continuer à faire le savetier, je ne saurais