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l’ignorer. Peut-être un jour sera-t-elle connue dans tous ses détails. Quant au résultat, il fut aussi considérable qu’inattendu. Le cabinet tory, qui n’avait pas la majorité dans la chambre des communes, ne comptait, pour se maintenir au pouvoir, que sur l’hostilité bien connue de l’école de Manchester contre lord Palmerston et les palmerstoniens. Quelle surprise, lorsque cette hostilité s’apaisa comme par enchantement, lorsque MM. Cobden, Bright, Milner Gibson votèrent avec lord Palmerston, lorsqu’enfin cet homme d’état, ayant renversé le cabinet Derby-Disraeli, forma un nouveau ministère dans lequel il fit une place à M. Milner Gibson, le plus acharné de ses adversaires dans l’affaire du Conspiracy Bill !

Le retour des libéraux au pouvoir donnait à Napoléon III quelques chances d’engager l’Angleterre dans sa politique italienne. Lord Palmerston était pour lui un vieux complice. En 1851, il avait encouragé, approuvé le coup d’état. Deux fois il était tombé du pouvoir à cause de ses complaisances pour la politique napoléonienne. Il s’en fallait de beaucoup que son collègue des affaires étrangères, lord John Russell, partageât sa sympathie pour Napoléon III ; mais on le tenait par un autre sentiment, par son hostilité contre la papauté. Tout aurait donc marché au gré de Napoléon III si, à côté du ministère, il n’y avait eu la couronne, dont le rôle en Angleterre est loin d’être aussi nul que le croient les observateurs superficiels. A dater du jour de la formation du cabinet libéral, la reine Victoria, évidemment conseillée par le prince Albert, n’est occupée qu’à tenir en bride lord Palmerston et lord John Russell, toujours prêts à prendre le galop dans la question italienne[1]. Après Solferino, l’empereur veut faire la paix. Il s’adresse à l’Angleterre, à la Prusse, à la Russie, leur communique les propositions qu’il compte faire à l’Autriche et leur demande de les appuyer au moins moralement auprès de cette puissance. — Excellente idée ! disent tout de suite lord Palmerston et lord John Russell. — Idée inacceptable, répond la reine. Son opinion prévaut : l’Angleterre refuse. La Prusse fait comme l’Angleterre : la Russie seule paraît disposée à se charger du rôle qu’on lui offre. Napoléon III finit par trouver plus simple de s’entendre directement avec l’empereur François-Joseph, et il lui fait de bien meilleures conditions que celles qu’il voulait lui offrir par l’entremise des trois puissances. Cette fois lord Palmerston et lord

  1. M. Auguste Laugel, qui a publié dans la Revue une belle étude sur lord Palmerston, a fort bien fait ressortir, dans sa seconde partie (15 août 1870), l’attitude personnelle du chef du cabinet anglais dans la question italienne ; mais, en l’absence des documens publiés depuis par M. Martin, il ne pouvait mettre en regard le rôle entièrement opposé de la reine et du prince consort.