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arrêter par une barrière aussi fragile, il aurait fallu que les Roumains fussent bien naïfs, et ce n’est pas leur défaut. Ils avaient à élire deux hospodars ; ils procédèrent en effet, comme le voulait la conférence, à deux élections séparées ; mais, par le plus grand des hasards, chacune des deux élections donna le même résultat. Le colonel Alexandre Gouza fut élu en Moldavie ; le colonel Gouza (Alexandre) fut élu en Valachie. Il était impossible de se moquer plus spirituellement de la conférence et de la constitution bizarre qu’elle avait élaborée. L’union des deux principautés était faite. Il n’y manquait plus que le prince étranger. On prit la peine de le chercher quelques années plus tard, et c’est à Berlin qu’on le trouva.

Ce long débat diplomatique durait encore lorsqu’au mois de juin, l’empereur, voulant effacer ou atténuer tout au moins les dissentimens qui s’étaient produits entre les deux pays, invita la reine d’Angleterre et le prince Albert à venir visiter Cherbourg, non plus incognito, comme ils l’avaient fait l’année précédente, mais tout à fait officiellement. C’est ainsi qu’après chaque brouille survenue avec notre alliée nous faisions les premières avances ; il est vrai de dire aussi que le plus souvent la brouille venait de notre fait. Dans cette intimité si souvent troublée, l’Angleterre se montrait froide, mais correcte, la France capricieuse et versatile, mais expansive et chaleureuse. C’était la France qui avait proposé l’entrevue d’Osborne ; c’était elle qui, après avoir commis la faute de la dépêche Walewski, s’en était excusée en termes qu’on n’a pas oubliés ; c’était elle enfin qui, au milieu des difficultés soulevées par la question roumaine, émettait l’idée d’une nouvelle entrevue personnelle entre les souverains comme un moyen de dissiper tout nuage entre eux. L’invitation ne fut pas d’abord bien accueillie. La reine Victoria, malgré ses sympathies personnelles pour l’empereur et surtout pour l’impératrice, n’oubliait pas les mécomptes et les tiraillemens qui avaient suivi l’entrevue d’Osborne. L’empereur ne se découragea pas ; il tenait à son idée, et avec un amical entêtement il fit renouveler la proposition par notre ambassadeur à Londres. Lord Malmesbury insista pour que la reine acceptât l’invitation : « Rien, lui écrivait-il le 24 juin, n’exerce une influence plus favorable sur l’esprit de l’empereur que ces entrevues personnelles avec votre majesté. » Lord Cowley agissait dans le même sens : « Je crois, écrivait-il à lord Malmesbury le 28 juin, que de ce côté-ci de la Manche la visite de sa majesté aura un grand effet d’apaisement. Vous êtes mieux placé que moi pour juger s’il en sera de même de l’autre côté ; mais je puis vous affirmer une chose, c’est que rien ne fait moralement plus de bien à l’empereur que de voir la reine