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de donner asile à des bandits auxquels on laisse proclamer impunément le régicide et qui terminent par jeter en défi à l’humanité et à la civilisation des massacres comme celui de la rue Le Peletier. » Une autre disait : « Que les misérables sicaires, agens subalternes de pareils forfaits, reçoivent le châtiment dû à leur crime abominable, mais aussi que le repaire infâme où s’ourdissent d’aussi infernales machinations soit détruit à tout jamais. Le pays le demande à grands cris, et l’armée saurait y dépenser jusqu’à la dernière goutte de son sang. » Rien ne pouvait être plus fâcheux que le retentissement donné à des documens semblables, au moment même où l’on demandait au cabinet anglais un acte de condescendance et d’amitié. L’empereur sentit la faute commise et désavoua officiellement les malencontreuses adresses. Il ne pouvait plus faire cependant qu’elles n’eussent paru et qu’elles ne fussent reproduites, commentées, envenimées par la presse anglaise. Il ne pouvait plus faire que la nouvelle loi contre les conspirateurs et le ministère qui l’avait présentée ne fussent violemment attaqués et sérieusement compromis. La popularité de lord Palmerston fondait à vue d’œil. Ce ministre, si exclusivement et si passionnément Anglais, qui avait fait tant de fois aux dépens de la France ses preuves de patriotisme, on l’accusait maintenant d’être aux ordres du cabinet des Tuileries. Il avait cependant traversé sans trop de difficulté la première lecture du Conspiracy Bill. À ce moment, l’orage ne faisait que s’amasser ; il éclata lors de la seconde lecture. Quand le premier ministre entra ce soir-là dans la chambre des communes et qu’il jeta un coup d’œil sur le terrain, avant d’engager le feu, il vit ses partisans hésitans et troublés, ses adversaires exultant déjà de la joie du triomphe, M. Mlnmer Gibson tenant à la main le texte d’un amendement rédigé de concert avec les principaux chefs de l’opposition pour blâmer le gouvernement de n’avoir pas répondu à la dépêche du comte Walewski avant de soumettre à la chambre son bill sur les conspirateurs. Il sentit que la bataille était perdue : n’importe, il fit tête à ses adversaires avec une énergie sans égale. Un vaillant jouteur comme l’était celui-là continue à se battre même quand il ne se bat plus pour la victoire.

L’Europe, la France surtout, attendaient l’issue de ce débat, d’où pouvait sortir un nouveau système d’alliances et qui sait ? peut-être une rupture entre les deux alliés de la guerre de Grimée. Quatre cent cinquante-neuf membres de la chambre des communes prirent part au vote sur l’amendement Milner Gibson. Deux cent trente-neuf voix se prononcèrent pour et deux cent vingt voix contre. La majorité était donc bien faible : ce n’était d’ailleurs qu’une coalition sur la durée de laquelle on ne pouvait pas se faire d’illusion.