Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/631

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

épousait, dans la chapelle royale du palais de Saint-James, Frédéric-Guillaume, fils du prince régent de Prusse, destiné à occuper le trône après son oncle et son père. En voyant s’accomplir ce mariage, annoncé d’ailleurs depuis plusieurs mois, Napoléon III songeait-il aux conversations qu’il avait eues avec le prince Albert et lord Palmerston au sujet dû Schleswig-Holstein et du port de Kiel, à la crainte qu’il avait éprouvée de voir l’Angleterre envisager de mauvais œil un agrandissement éventuel de la Prusse ? Ce n’est pas à présumer. L’empereur à ce moment avait de bien autres préoccupations. Le 14 janvier avait eu lieu l’attentat d’Orsini.

L’émotion fut profonde en France. Un souffle de réaction passa sur le gouvernement et sur le pays. On demanda d’énergiques et promptes mesures de répression : demande sincère chez beaucoup, intéressée chez quelques-uns ; sentiment spontané dans la foule, mais entretenu, excité, exploité par les courtisans. L’empereur, malgré son calme habituel, se laissa gagner par cette fièvre. Coup sur coup et presque sans délibérer, il congédia M. Billault pour mettre un général au ministère de l’intérieur ; il fit voter la loi de sûreté générale, déporter d’anciens insurgés ou des hommes simplement suspects à son gouvernement, resserrer les freins de la presse, qui commençait à se donner une allure un peu plus libre. Enfin il demanda à l’Angleterre de prendre des mesures contre les réfugiés cosmopolites qui tenaient leurs conciliabules à Londres et qui de là préparaient en toute sécurité leurs projets coupables contre les gouvernemens du continent. Le cabinet anglais s’empressa de déférer à cette invitation. Il prépara en toute hâte et fit mettre immédiatement en discussion un bill punissant de cinq ans de servitude pénale le complot ayant pour objet un meurtre (conspiracy to murder). On se flattait que ce projet de loi passerait sans difficulté. Lord Palmerston avait dans la chambre des communes une majorité sur laquelle il croyait pouvoir faire fond d’une manière absolue.

La demande adressée au cabinet anglais par l’empereur n’avait rien d’excessif en elle-même ; malheureusement M. Walewski l’avait transmise dans une dépêche dont les termes n’étaient peut-être pas assez ménagés. Un incident fort inopportun se produisit sur ces entrefaites. Le Moniteur publiait chaque jour une foule d’adresses reçues par l’empereur à l’occasion de l’attentat auquel il venait d’échapper. Dans le nombre il y en avait qui venaient de l’armée ; elles se distinguaient naturellement par leur chaleur. Quelques-unes même, signées de colonels trop zélés, avaient un caractère provocateur et presque insultant pour l’Angleterre. Une de ces adresses contenait la phrase suivante : « Pour ne rien cacher enfin, il semblé impossible de considérer comme amis des gouvernemens capables