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« — Sans doute, c’est difficile, répliquai-je ; mais d’un autre côté il est bien indispensable à un souverain d’avoir un collaborateur en état de comprendre ses vues et de les mettre en pratique, de manière à en assurer le succès. Il n’y a jamais eu de grand monarque sans un grand ministre. »


Rien de plus curieux que ces deux conversations. On y voit l’empereur tel qu’il était, avec ce singulier mélange d’idées généreuses, de projets chimériques et d’ambitions vagues, qui le menaient tout doucement, sans qu’il s’en doutât, à des guerres sanglantes et à d’épouvantables catastrophes. Qui aurait pu croire par exemple, que dès 1857 il roulât dans sa tête l’idée de l’annexion du Holstein à la Prusse ? Et que dire de sa distraction au sujet du duché de Brunswick ? Voilà un héritage qui doit revenir au roi George de Hanovre, le propre cousin de la reine Victoria. Et l’empereur, dans l’ingénuité de son âme, vient dire au prince Albert : « Que pourrions-nous bien faire du duché de Brunswick ? » Dans sa pensée, cela est de toute évidence, le duché de Brunswick, comme le Holstein, devait faire partie du lot de la Prusse.

Et notre lot, à nous, quel était-il, dans toutes ces combinaisons qu’agitait l’esprit de Napoléon III ? Il ne paraît pas que sur ce point il se soit expliqué nettement avec son interlocuteur, et c’est bien regrettable. Le prince Albert avait plus de finesse et d’expérience qu’il n’en fallait pour comprendre que tous ces beaux cadeaux offerts aux diverses nations européennes ne pouvaient pas être purement gratuits ; que lorsque l’empereur insistait tant pour agrandir la Prusse d’un certain côté, il songeait certainement à lui demander d’un autre côté des compensations plus ou moins importantes ; et qu’enfin lorsqu’il disposait de l’Égypte en faveur de l’Angleterre, de la Syrie en faveur de l’Autriche, de Tripoli en faveur du Piémont, il réservait à la France, dans le secret de son cœur, la régence de Tunis. Napoléon III était donc sûr d’être à peu près complètement deviné. Dès lors, pourquoi ne pas mettre de côté tous les ménagemens ? Pourquoi ne pas dire nettement ce qu’il désirait ? Pourquoi ne pas obliger l’Angleterre à déclarer si, oui ou non, elle consentirait sous certaines conditions et moyennant certaines compensations, à des agrandissemens territoriaux au profit de la France ? La question aurait été vidée une fois pour toutes. De quelque manière que l’entretien eût tourné, on aurait su de part et d’autre sur quoi l’on pouvait compter.

Tout au contraire l’entrevue d’Osborne se termina Sans qu’aucune difficulté eût été coulée à fond. Cependant on se séparait fort content les uns des autres. En arrivant en France, l’empereur