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le temps avait rendues nécessaires. Je citai l’exemple de la Belgique, l’exemple plus récent encore de Neufchâtel. La principale disposition des traités de 1815, en ce qui concernait la France, était celle qui excluait du trône la famille Bonaparte. La présence de l’empereur à Osborne était la meilleure preuve qu’il n’y avait aucune impossibilité de réviser ces traités sur les points qui appelaient des modifications ; mais demander une révision générale, c’était forcément provoquer une sorte de commotion.


Dans la conversation du 10 août, les questions furent serrées de plus près, et l’empereur indiqua avec plus de précision quelques-uns des points sur lesquels il désirait apporter des modifications à l’état territorial de l’Europe.


L’empereur revint à son sujet préféré, et m’exprima de nouveau sa conviction que la paix de l’Europe ne serait assurée qu’après une révision des traités de 1815.

— C’est là, dis-je, une question fort délicate et tellement grosse de dangers, qu’elle ne peut être traitée qu’avec la plus extrême prudence. En ce qui me concerne, je ne vois pas comment on pourrait l’aborder. Personne ne voudra courir le risque fort sérieux de toucher à l’état légal de l’Europe, à moins qu’il n’espère des avantages personnels d’un changement. Mais ces avantages, aux dépens de qui se les procurera-t-on ? Et si ceux qui croient être bien traités se prêtent à la révision, ceux qui devront en être les victimes ne se défendront-ils pas jusqu’à la dernière extrémité ?

« — Sans doute, reprit l’empereur, c’est très difficile ; cependant… Il y a, par exemple, le duc de Brunswick, qui n’a pas d’enfans. À sa mort, que deviendra le duché ?

« — Mais, répliquai-je, la question est réglée par la loi successorale et par les traités. Le duché reviendra au Hanovre.

« — Aussi, dit l’empereur, ai-je toujours pensé que le meilleur moyen de rendre de grands services au monde serait de chercher des compensations hors de l’Europe. Il y a l’Afrique, par exemple. Je ne veux pas faire de la Méditerranée un lac français, comme le souhaitait Napoléon Ier : je veux en faire un lac européen. L’Espagne aurait le Maroc, la Sardaigne une partie de Tripoli, l’Angleterre l’Égypte, l’Autriche une partie de la Syrie, et que sais-je encore ? Toutes ces magnifiques contrées sont inutiles à la civilisation, grâce à leurs détestables gouvernements. La France elle-même trouverait là une soupape pour les esprits turbulens.

« — Je lui dis que je considérais cette nouvelle idée comme bien préférable à celle de refondre le vieux monde et la vieille société, mais que