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Public… Que Falconet publie ses lettres » si elles peuvent paraître sans les miennes, j’y consens. Pour celles-ci, je m’y oppose formellement. » Le projet n’eut pas de suite : il ne s’est réalisé qu’un siècle après ; ce qui était bien tard pour un homme comme Falconet, qui ne croyait pas à la postérité.

Le reste de la correspondance, jusqu’aux jours d’amertume et de brouille où elle s’interrompt brusquement, est rempli de la sollicitude la plus touchante sur le sort de Falconet pendant le temps de son voyage au mois de septembre 1766 et les premières années de son séjour à Saint-Pétersbourg. On sait que, sur la recommandation de Diderot, il avait été chargé par l’impératrice Catherine d’élever une statue gigantesque de Pierre Ier. Le sculpture avait emmené avec lui son élève et son amie, Mlle Collot, qui devint plus tard sa femme. Diderot les suit du regard et du cœur : « J’ai compté tous les jours depuis votre départ, leur écrit-il à tous les deux. Je vous ai suivis de vingt lieues en vingt lieues, et si vous en avez moins fait, je suis arrivé à Pétersbourg avant vous… Tous les matins, en me levant ; je tirais les rideaux et je disais : Ils auront encore aujourd’hui du beau temps… Je suis retourné seul plusieurs fois à la maison de la rue d’Anjou ; elle est encore comme vous l’avez laissée. Je me suis assis ou sur le canapé de canne ou sous le petit berceau et j’y ai pensé à vous. » Cette note est la note constante pendant plusieurs années. Diderot conseille, exhorte, apaise l’ami Falconet, lequel est susceptible, ombrageux, irritable à l’excès, « le Jean-Jacques de la sculpture, » comme il l’appelle ; il ne cesse pas de s’intéresser à sa vie, à son art, à son œuvre. Il y a là un sentiment profond, vif, affectueux, peut-être excessif, parfois indiscret, à ce qu’il semble, un peu despotique dans la forme des conseils qu’il prodigue, prétendant diriger de loin deux destinées, deux consciences, deux artistes, et s’exposant parfois à des interprétations fâcheuses, à des mécomptes et à des ombrages.

Mais déjà, en 1767 ; lui même était pressé par la grande impératrice de se rendre en Russie ; le général Betzky, l’intermédiaire des grâces et des libéralités de Catherine, lui envoyait lettres sur lettres. Tout faisait d’ailleurs de ce voyage un devoir de haute convenance pour Diderot. C’est là un des épisodes intéressans de sa vie ; plusieurs des fragmens inédits qui s’y rapportent ont ajouté quelques traits nouveaux à ce que l’on savait déjà.

Certes on ne peut pas dire, en voyant les hésitations de Diderot, que ce soit faute de reconnaissance. Bien au contraire : « Vous ignorez, écrit-il, ce qui s’est passé ici à l’occasion du second, du troisième, du quatrième bienfait ; j’en ai tant reçu que je ne sais plus lequel. » Le premier bienfait de l’impératrice avait été