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bénissant, pontifiant, comme Diderot ne l’a jamais été, mais a toujours rêvé de l’être. — Le Commandeur n’est là que pour faire contraste et créer les obstacles dont naissent les situations : c’est le méchant. L’intervention du méchant, comment se concilie-t-elle avec la théorie célébrée ailleurs, chère à Diderot comme à Rousseau et au XVIIIe siècle : « Oui, la nature humaine est bonne, répète sans cesse Diderot dans sa Poétique nouvelle, elle est même très bonne. L’eau, la terre, le feu, tout est bon dans la nature… L’ouragan… La tempête… Le volcan,, etc., etc, — Ce sont les misérables conventions qui pervertissent l’homme, et non la nature humaine qu’il faut accuser. » Il aurait fallu au moins, pour expliquer le personnage du Commandeur, nous dire dans le courant de la pièce par quelles misérables conventions il a été perverti. — Ailleurs on nous laisse également ignorer pourquoi le shérif est devenu le plus méchant des hommes, l’atroce intolérant. Et dès lors nous ne voyons pas clairement quelle est la raison d’être de l’optimisme un peu banal de Diderot. Il faut bien l’avouer d’ailleurs, l’optimisme systématique ne convient pas au théâtre, qui représente la lutte violente des passions ou le conflit des caractères, et qui dans les deux cas, excitant la terreur et la pitié ou riant des ridicules et des vices, ne justifie guère la bonté originelle de la nature humaine. Si cette nature était parfaite, il n’y aurait ni tragédie ni concilie, puisqu’il n’y aurait ni crimes, ni vices, ni ridicules, ni conflits d’aucune sorte.

Tout n’était pas faux pourtant dans les conceptions dramatiques de Diderot, si tout est faux et artificiel dans son théâtre. L’idée primitive a dévié dans les développemens qu’elle a reçus et surtout dans les applications qu’elle a subies. Mais, à l’origine, cette idée avait sa valeur. Diderot, fatigué des redites et de l’emphase de la tragédie épuisée, a conçu le drame des conditions moyennes ; il a voulu créer une tragédie bourgeoise et populaire en la débarrassant de la parure des vers, excessive pour les situations nouvelles qu’il abordait ; il a cherché, sans y réussir, à être vrai, et par cela même il s’est éloigné de la convention qui régnait au théâtre. Voilà dans quelles limites il nous semble que Diderot avait raison et contre Voltaire et contre son siècle. Seulement, pour avoir raison tout à fait, il fallait qu’il réussît dans ses essais dramatiques, et cela n’était guère possible, en raison de ses qualités autant que de ses défauts. L’idée s’est faussée dans l’exécution, et Diderot, au lieu de reconnaître les imperfections et les lacunes de son talent, les a, si je puis dire, dogmatisées : il en a tiré l’occasion et la matière d’une poétique nouvelle ; il a prétendu faire de ses défauts mêmes un genre nouveau et donner à un art la forme de son esprit. Il a fait de sa personnalité déclamatoire et larmoyante un type, celui du poète