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des catastrophes royales et dont le premier dogme est le mépris des douleurs du commun et des larmes bourgeoises. Diderot a eu le regard plus libre et plus large que lui ; il a entrevu, bien que confusément, le drame moderne, sans pouvoir jamais entrer dans cette région nouvelle, cette terre promise, qu’il annonçait par ses vagues oracles et autour de laquelle il s’est agité toute sa vie inutilement, sans arriver ni à déterminer les vraies conditions du genre ni à en trouver la vraie formule.

Il s’est trompé plus gravement sur la comédie sérieuse que sur la tragédie bourgeoise. D’abord lui-même n’a jamais bien su en quoi consistait le comique sérieux, et pour une bonne raison, c’est que ce qui est sérieux n’est pas comique. Il n’a jamais distingué nettement le genre auquel appartenaient ses différentes pièces. Le Fils naturel et le Père de famille ont paru indistinctement sous le titre de comédies, bien que ces deux pièces, de son propre aveu, appartiennent à des genres différens. — Mais à la vérité, ni l’une ni l’autre n’auraient dû s’appeler comédies : car s’il y a quelque part de la gaîté, elle est lugubre. Drames, si vous voulez ; comédies, jamais, malgré les dénoûmens heureux, mais dont le bonheur se noie dans les larmes. — Le principe auquel Diderot s’attachait pour la rénovation de la scène comique est, on le sait, la condition. Là est le point faible, à mon avis, de la poétique nouvelle. — La condition ? Mais est-ce qu’elle était ignorée avant Diderot ? Molière n’a-t-il pas mis sur la scène des marquis et des bourgeois, des marchands et des paysans ? Ce n’était, il est vrai, qu’un accessoire pour lui et le caractère était le principal. Mais peut-il en être autrement ? La condition, en soi, n’est pas un principe de comédie. Elle ne l’est que comme un élément de variété à travers lequel se montre le caractère, l’élément humain par excellence, dans la comédie de Molière, ou comme un moyen pour l’intrigue dans la comédie de Beaumarchais. Par elle-même elle ne peut pas fonder une pièce. Il y a des financiers, des pères de famille, des juges ; mais il n’y a pas, quoi que puisse prétendre Diderot, le financier, le père de famille, le juge. Tel financier diffère de tel autre, tel père de famille n’a rien de commun avec un autre père de famille ; et c’est en cela même que consistent tout l’intérêt et le prix de ce genre d’études : il y a le financier vaniteux et le financier modeste, il y a le père de famille prodigue et le père de famille économe. Cela seul nous intéresse de voir, dans la même profession ou le même état, ressortir la diversité des caractères. C’est donc toujours au caractère que nous revenons, en y comprenant, il est vrai, les nuances à l’infini dont il se teint à travers la condition. Si Diderot veut autre chose, il s’égare à la recherche d’un idéal chimérique. Il fera le père de famille tel qu’2 doit être, et alors ce sera un type