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venues avec nous de Bar suffirent pour protéger notre séjour. Nous restâmes à Dijon jusqu’au moment où nous apprîmes la capitulation de Paris. A peine avions-nous reçu cette nouvelle qu’on nous annonça le duc de Cadore (Champagny) : il était porteur d’un message de Napoléon à l’empereur. Je n’eus pas le temps de le voir, sa majesté m’ayant ordonné de partir sans retard pour Paris. Sa mission resta sans résultat.

La nouvelle de la capitulation de Paris mit la population de Dijon en émoi. La cour de l’hôtel que j’habitais se remplit de curieux. Une députation vint me demander s’il était permis d’arborer les couleurs royales. Sa majesté y consentit, ce dont je fis part à la foule assemblée. Une heure après, le drapeau royal flottait dans toutes les rues. Je partis en compagnie de lord Castlereagh et du chancelier Hardenberg.

Le 10 avril, j’arrivai à Paris : je ne tardai pas à me rendre auprès du tzar. Il s’était installé dans l’hôtel du prince de Talleyrand. Sa majesté me fit part des notes échangées avec Napoléon depuis l’entrée des alliés à Paris, et m’instruisit de la présence des maréchaux Ney et Macdonald, auxquels Napoléon avait conféré ses pleins pouvoirs à l’effet de signer avec les puissances le traité par lequel il renonçait à la couronne de France et acceptait la souveraineté de l’île d’Elbe.

Je témoignai au tzar l’étonnement que me causait le dernier point de cette convention. Je lui représentais combien d’inconvéniens entraînerait l’exécution de la clause en vertu de laquelle l’empereur déchu était appelé à résider si près des états dont il avait été le chef. Il ne me fut pas difficile d’expliquer mes appréhensions par des considérations puisées dans le caractère de Napoléon, et par d’autres qui ressortaient de la force des choses. L’empereur chercha à me réfuter par des argumens qui faisaient honneur à sa générosité autant qu’ils étaient peu faits pour me rassurer sur l’avenir. Il me dit entre autres choses qu’on ne pouvait douter de la parole d’un soldat et d’un souverain sans lui faire injure. Je déclarai à sa majesté que je ne me croyais nullement autorisé à prendre sur moi de trancher une question d’une si haute importance pour le repos futur de la France et de l’Europe sans avoir pris d’abord les ordres de l’empereur mon maître.

« Cela n’est plus possible, répliqua vivement le tzar ; comme j’attendais votre arrivée et celle de lord Castlereagh, j’ai déjà reculé de plusieurs jours la signature de la convention ; il faut que tout soit terminé ce soir, afin que les maréchaux puissent remettre l’acte à Napoléon cette nuit même. S’il n’était pas signé aujourd’hui, les hostilités recommenceraient demain, et Dieu sait où elles pourraient nous conduire. Napoléon est à la tête de son armée à