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préliminaires ; on m’avait parlé d’une organisation littéraire à deux degrés, quelque chose d’hiérarchique et de traditionnel vigoureusement constitué, et vous ne me montrez que le Voyage de M. Perrichon, une pochade assurément fort divertissante, mais d’un genre peu relevé et d’ailleurs sans littérature ! — Sans littérature ! monsieur, voilà pour le coup un mot qui trahit bien son étranger. Apprenez-donc que le Voyage de M. Perrichon est tout ce qu’il y a de plus littéraire et même de plus académique pour le moment. » À cette verte semonce, notre barbare se confond en excuses et poursuit avec modestie : « Je crois cependant me souvenir qu’on m’avait aussi entretenu d’un répertoire classique que je serais fort aise de connaître et dont j’attends encore la première révélation, n’étant à Paris que depuis une quinzaine, et le roulement du Théâtre-Français n’ayant amené jusqu’ici que les Fouvrchambault, Hernani et l’Étrangère. — Le répertoire classique ? En effet, Molière, Corneille et Racine, on vous les offrira cet hiver, le dimanche, en matinée, mais il vous faut attendre que la vraie troupe soit de retour. — La vraie troupe ? il y en a donc plusieurs et d’espèces diverses ? — : Oui, l’une qui ressemble à Mme Benoîton et n’est jamais chez elle, et l’autre qui pendant ce temps représente le Voyage de M. Perrichon. » C’est même une admirable invention que ces matinées du dimanche pour se débarrasser de ce qui vous gêne ; l’exemple en a paru si bon à M. Carvalho, un autre directeur homme d’esprit, qu’il va s’empresser de l’imiter. Nous aurons ainsi prochainement des représentations diurnes consacrées à l’ancien répertoire, une manière de rez-de-chaussée où l’on descendra les vieux lares de l’endroit pour laisser librement régner au premier étage la Flûte enchantée, les Noces de Figaro, etc., et cette fois la superposition tant rêvée aura son heure. Ce ne sera peut-être pas encore le Théâtre Lyrique du boulevard du Temple, mais ce ne sera déjà plus l’Opéra-Comique, de même qu’à l’Odéon, ce n’est pas encore tout à fait le Palais-Royal, mais ce n’est plus assurément le second Théâtre-Français. « J’ai ri, me voilà désarmé. » Ayez de la désinvolture, faites des mots, et tandis que M. Turquet regardera dans la lune pour y découvrir des statues de Phidias ayant des écharpes tricolores et des comédies de Molière à base de Marseillaise, vous pourrez promener vos comédiens et vos meutes sur les routes et transformer en spectacle forain un grand théâtre de l’état. Il n’y a qu’à savoir s’y prendre et les gens d’esprit font ce qu’ils veulent, car le public est comme les gouvernemens, qui ne détestent pas qu’on se moque d’eux.


P. DE LAGENEVAIS.