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ténor surtout semble dépaysé à Favart ; qui l’en arracherait coûte que coûte, puisqu’il y aurait évidemment un dédit à payer, — rendrait service à l’équilibre de deux scènes. Jamais M. Talazac ne chantera le répertoire et son talent, dont l’Opéra saurait bientôt tirer profit, ne sert pour le moment qu’à faciliter les vues de M. Carvalho, toujours possédé de son vieux rêve d’autrefois et qui ne demanderait qu’à superposer un théâtre lyrique de sa fantaisie au théâtre national dont il a charge. La polémique, avouons-le, court parfois de singulières aventures. M. Vaucorbeil s’avise, en un jour de détresse, de vouloir monter une œuvre de Verdi, et voilà tout de suite qu’on l’accuse de faire une scène italienne de notre Académie de musique, laquelle soit dit en passant ; depuis la Vestale de Spontini jusqu’au Guillaume Tell de Rossini, à la Favorite de Donizetti, au Freischütz de Weber, au Don Juan de Mozart, n’a guère cessé d’emprunter à l’étranger ses richesses ; or, pendant ce temps, les compositeurs français trouvent tout simple qu’on monte la Flûte enchantée à l’Opéra-Comique, et quand il plaira à Mme Carvalho de jouer les Noces de Figaro ou qui sait ? le Mariage secret, personne, ni parmi les jeunes ni parmi les vieux, ne se récriera, et M. Turquet lui-même, ce joyeux maître des cérémonies du grand art démocratique, n’y trouvera point sujet d’en référer à son ministre ? C’est qu’il y a de ces directeurs qui, à force d’aplomb et d’ironie, finissent par s’imposer à tout le monde, et cela sous n’importe quel régime. Le public, comme l’autorité, leur passe tout ; leurs maladresses et leurs défaites Sont raquettes d’où ils rebondissent à plus hauts emplois. Nestor Roqueplan fut le fondateur de cette dynastie humoristique. On les appelle vulgairement les directeurs hommes d’esprit ; Que d’autres prennent au sérieux leurs devoirs envers l’état qui les subventionne ; eux, n’en ont cure, ils traitent leurs fonctions comme cet aimable Mürger traitait sa maladie, par l’indifférence.

Imagine-t-on, je le demande, rien de plus original que le spectacle de cette direction de l’Odéon ? Voilà un théâtre doté, logé, mis dans ses meubles par l’état, un théâtre ayant pour objet d’aider à l’effort laborieux, continu, de toute une littérature progressive, aux tendances de tout un monde d’esprits chercheurs, aventureux, dignes d’intérêt, envers lesquels la Comédie française se déclare impuissante, encombrée qu’elle est des chefs-d’œuvre du passé et des œuvres à recettes du présent, — et ce théâtre national s’acquitte de ses devoirs en jouant cent fois de suite un ancien vaudeville, et cette succursale de la maison de Molière devient la succursale du Palais-Royal. Supposez un étranger voulant se renseigner sur nos mœurs dramatiques ; on lui a dit qu’il y avait à Paris deux Théâtres français. Après avoir vu le premier, il s’enquiert du second et commence à ne plus comprendre. « Mais, s’écrie-t-il, ce que vous me donnez là contrarie toutes mes notions