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des musiciens, nous donne là-dessus une information très surprenante. A l’en croire, maître Francesco Basili, alors directeur du conservatoire de Milan, et l’un des plus intraitables pédagogues du temps passé, se serait purement et simplement prononcé d’après les apparences : « Il est évident, écrit-il, que jamais physionomie ne fut moins révélatrice du talent ! » Voilà certes pour un juge un admirable critérium. Le vieux Cherubini avait, lui aussi, de ces humeurs chagrines, mais ses boutades ne s’exerçaient guère qu’à l’égard du sexe faible, et pourvu que l’élève fût jolie, il la recevait, eût-elle ou non sur son visage « l’empreinte révélatrice du talent. » Même en supposant vraie la théorie, c’était assurément bien mal l’appliquer. On peut reprocher au masque de Verdi une certaine raideur, mais dire que l’intelligence ne s’y montre pas, quelle sottise ! Vous y lisez tout au contraire, comme à livre ouvert, le résumé de son talent, de son génie austère et dur, plein de crudité, d’âpreté, de flamme sombre, mais toujours franc, généreux, sympathique. Repoussé du conservatoire de Milan, le futur auteur de Rigoletto eut recours à l’enseignement privé du professeur Lavigna, qui le mit en mesure de se passer des soins du maestro Basili et de faire ensuite son chemin tout comme un autre ; ajoutons même, beaucoup mieux qu’un autre, puisque cet art lui valut de rentrer un jour au pays natal en propriétaire et de s’y installer sur ses domaines, noblement acquis du produit de ses chefs-d’œuvre. Informez-vous à la ronde, et tous sauront vous indiquer le chemin de la villa du professeur Verdi, heureux coin de terre où l’artiste transformé en country gentleman se repose dans l’agriculture de ses travaux et de ses succès du théâtre. Son fusil sur l’épaule, un volume de Dante ou de Shakspeare à la main, il part dès l’aube en visite chez ses fermiers. Les amis du compositeur assurent qu’il s’entend à faire valoir aussi bien qu’à écrire des opéras. Quoi qu’il en soit, tout le monde l’adore, et j’estime que pas Un point noir ne se verrait à cet horizon si les bons vassaux pouvaient lui chanter moins souvent les chœurs des Lombardi.

L’accueil hospitalier du châtelain de Sant’ Agata à M. Vaucorbeil n’était point douteux, mais ce qui se laissait moins prévoir, c’était la manière dont le directeur de l’Opéra sortirait de ce pas difficile. Il s’agissait en effet pour lui d’enlever Hermione sous les traits d’Aïda et mieux encore, de lier partie pour un nouvel ouvrage avec le premier, autant dire avec le seul musicien dramatique de notre temps, de vaincre ses répugnances plus ou moins légitimes, et qu’on me passe le jeu de mots, — de l’amener finalement à composition. Sur ce dernier point, si je me fie à ce qu’on rapporte, l’entente ne s’établit pas tout de suite. Le maître évitait de se prononcer et, trop poli pour récriminer quant au passé, il se gardait délicatement d’engager l’avenir. A dîner,