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et pour leur fortune, et revenons bien vite à no3 travaux, puisque c’est désormais tout un programme à reconstituer.

M. Gounod se dérobant, chacun l’imite. Figurez-vous l’histoire des moutons de Panurge renversée : c’est à qui ne sautera pas. Le vieux chef de l’école française (j’ai nommé M. Thomas) ferme son armoire à triple clé sous prétexte que la Francesca et le Paolo de ses rêves se font vainement attendre, et le jeune chef (j’ai nommé M. Massenet) prétend ne livrer sa partition d’Hérodiade qu’au retour de M. Lassalle, son chanteur attitré, lequel nous quitte un brin de temps, — quelque chose comme dix ou quinze mois, pour aller promener le Roi de Lahore en Europe. Mettez-vous à la place du nouveau directeur et demandez-vous ce que vous feriez dans la circonstance. Ce ne sont point les belles propositions qui lui manquent, les opéras viennent s’offrir d’eux-mêmes et par douzaines ; il y en a des vieux, des neufs et des vieux-neufs ; de l’ancien Théâtre-Lyrique et de la province, il en arrive de partout : foire aux ours, foire aux vanités. De position plus difficile que celle de M. Vaucorbeil, on n’en suppose pas ; autant de refusés, autant d’ennemis. « Je suis un compositeur français, et vous ne voulez pas de ma pièce ? mais vous reniez donc votre pays, vous reniez la musique, et c’est là ce que vous appelez faire de l’art ? » En effet, s’imagine-t-on pareille aventure ? Monter Aïda, mettre au répertoire de notre Académie nationale un ouvrage que depuis dix ans Londres, Vienne, Berlin, Saint-Pétersbourg, toutes les grandes scènes ont adopté, voyez un peu le gros scandale ! Mais l’Opéra, depuis qu’il existe, n’a jamais fait autre chose, et de tout temps les maîtres étrangers y furent à domicile sans que son caractère d’institution nationale en ait souffert la moindre atteinte ; d’ailleurs cette méchante querelle n’est point neuve, on l’agitait déjà du temps de Gluck, ce Tudesque, de Piccini, de Sacchini et de Salieri, ces Welches ! Et depuis, combien de fois ne l’a-t-on pas reprise à propos de Rossini, de Meyerbeer, de Weber et de Donizetti ? Rien ne se dit en bien comme en mal que d’autres n’aient dit avant nous, et c’est plus que probable qu’aux temps héroïques où Guillaume Tell vit le jour, il y eut ainsi des grands hommes méconnus pour maugréer contre cet Italien envahisseur et contre ce directeur dépourvu de patriotisme, ce qui n’empêcha point l’Opéra de poursuivre le cours de ses destinées nationales et d’inscrire dans ses fastes un chef-d’œuvre de plus, dont aux yeux de l’Europe entière l’honneur revient à nous. Il en sera de même pour Aïda, c’est là du moins ce qu’aura pensé le présent directeur de notre Académie dans la situation désastreuse où le plaçait le subit et si mélancolique évanouissement de M. Gounod. Les deux gros bonnets de l’école française actuelle, l’auteur de Faust et l’auteur d’Hamlet, l’ayant de la sorte abandonné, qui le blâmera de s’être adressé à Verdi ?

La détermination dûment arrêtée, restait à se procurer le