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REVUE MUSICALE

Il en faut prendre son parti : nous n’aurons point cet hiver le Tribut de Zamora. L’œuvre, paraît-il, née caduque, avait besoin de rentrer dans le sein d’Abraham pour se ravitailler quelque peu. « Il y manquait le cachet », comme dit Figaro. Hélas ! après Cinq-Mars et Polyeucte, on aurait dû s’y attendre, et cependant, voyez l’aveuglement, devant ce nouveau produit d’une muse en défaillance, le théâtre ouvrait toutes ses pores ; on se laissait même dicter des engagemens qui, maintenant, restent pour compte a l’administration, et voilà notre Académie nationale forcée d’utiliser dans le répertoire Mlle Marie Heilbron, dont M. Gounod se promettait des merveilles pour une figuration quelconque de jolie Mauresque, mais qui fait, en attendant, une assez médiocre Marguerite. Pour de l’art sérieux, c’est bien folâtre, et pour de l’opérette, c’est trop sérieux ; mettons que c’est prétentieux et n’en parlons plus. La voix mal posée s’use en efforts et se consume à chercher dans les notes de poitrine des effets dont l’exagération accentue encore la résonance ingrate du registre aigu. Avec cela, point de style, ou plutôt tous les styles, à commencer par celui qui réussit aux petits théâtres et que la virtuose emploie triomphalement dans l’air des Bijoux : flamme sans chaleur, élans sans conviction, quelque chose d’agité, de saccadé, qui toujours vibre et vibre à faux ; — voir la scène de l’église et celle du dénoûment, où l’excès de zèle gâte tout. Quand donc les cantatrices apprendront-elles à se modérer ? quand cesseront-elles d’ignorer que le sentiment procède du dedans au dehors et que tous leurs gestes et tous leurs cris ne peuvent rien lorsqu’elles-mêmes ne savent pas être émues ? Notre firmament parisien compte ainsi nombre d’étoiles que l’Europe, dit-on, nous envie ; laissons-les voyager pour leur gloire