Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/451

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

indirects, et particulièrement des impôts de consommation. Ces taxes, on ne peut trop le répéter, lorsqu’elles portent sur des objets d’un usage général, ont trois grands avantages : d’être modérées, de se faire sentir très peu et de rendre beaucoup. Ce sont les qualités principales qu’on doit chercher dans tout impôt. Mais, dit-on, elles sont d’une perception plus coûteuse que les autres et entraînent quelquefois à des procédés vexatoires. Ces reproches n’ont plus aujourd’hui beaucoup d’importance ; les frais de perception s’atténuent de plus en plus, et quant aux procédés vexatoires, ils tendent aussi à disparaître avec la faculté d’abonnement qui est accordée à certains contribuables et le paiement des droits à l’entrée des villes.

Reste l’entrave qu’elles apportent à la libre circulation des marchandises. Cet inconvénient, nous ne le contestons pas ; mais nous demandons quelle est la liberté qui n’est pas soumise à certaines restrictions. On a restreint la liberté politique parce qu’il faut maintenir l’ordre avant tout et que l’ordre ne se concilie pas toujours avec une liberté absolue. On restreint de même la liberté commerciale, parce que l’état a besoin de ressources et que le plus sûr moyen de lui en procurer de considérables est de mettre des taxes sur les objets de consommation ; une fois ces taxes établies, il faut bien faire ce qui est nécessaire pour en assurer la perception.

Sur la question de l’emprunt préféré à l’impôt, lorsqu’il s’agit d’une grande dépense à faire, les argumens du duc de Broglie sont péremptoires et ne laissent rien à désirer ; s’il n’a pas proposé la meilleure solution en ce qui concerne l’amortissement, cela tient, je le répète, à l’époque où il écrivait ; on ne connaissait guère alors que le système des dotations spéciales ; l’expérience n’avait pas encore démontré, comme elle l’a fait depuis, tout l’avantage qu’on peut tirer du système des annuités et combien ce système satisfait à la fois le prêteur et l’emprunteur. En somme, M. le duc de Broglie a fait là un excellent livre que tout homme politique aura intérêt à lire et que les économistes pourront étudier avec profit. La qualité qui y règne d’un bout à l’autre, indépendamment de l’élévation des vues, est une grande clarté d’exposition unie à beaucoup de bon sens. Cette qualité est assez rare dans les travaux économiques. On a donc à remercier M. le duc Albert de Broglie d’avoir mis au jour les œuvres posthumes de son illustre père sur ces questions ; il a rendu service à la science.


VICTOR BONNET.