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dépense sérieuse l’impôt extraordinaire vaut mieux que l’emprunt ; il est au contraire plus préjudiciable. Sans doute l’emprunt grève l’état d’intérêts que les contribuables ont à payer pendant un temps plus ou moins long. Ces intérêts entrent dans les frais généraux de la production, pour parler comme le duc de Broglie, et la rendent plus coûteuse. Mais c’est ici une question de mesure ; et il est bien certain au moins qu’il sera toujours plus facile de payer les intérêts d’une dette pendant un temps plus ou moins long, que d’en rembourser le capital en un ou deux ans. Ce capital, si vous le demandez à l’impôt, vous ne pouvez le prendre, je le répète, que sur le fonds productif de la société, c’est-à-dire sur le fonds de roulement ; vous diminuez celui-ci d’autant, ce qui est déjà grave, et vous courez, en outre, le risque de faire naître des inégalités choquantes. Toute taxe établie précipitamment et pour peu de temps ne peut pas se répercuter ; elle reste sur ceux qui en sont atteints d’abord, sans qu’il y ait pour eux aucun moyen de compensation. Et alors on verra des gens dont la fortune est à découvert, facile à saisir, qui paieront 20 et 25 pour 100 de leur revenu par suite de cette taxe, tandis que d’autres dont les ressources sont moins ostensibles, tout en étant plus considérables, ne paieront que 5 pour 100. Ce sera une violation de toutes les règles. S’il s’agit d’un emprunt, au contraire, on le prend sur un capital qui n’est pas nécessaire au fonds productif de l’année. On le prend sur le capital en réserve qui peut être plus ou moins utile au fonds d’immobilisation, mais qui n’a pas une importance de premier ordre, comme celui dont on se sert pour la production annuelle. Du reste, Stuart Mill l’a parfaitement reconnu lorsqu’il a dit qu’un emprunt de quelque importance ne saurait être prélevé sur les capitaux engagés dans l’agriculture, le commerce et l’industrie, mais seulement sur les économies annuelles ; or, qu’il s’agisse d’un emprunt ou d’un impôt extraordinaire, le résultat est toujours le même.

Reste maintenant la question de l’amortissement. Le duc de Broglie n’est pas plus que nous de l’école de quelques financiers modernes qui voient sans inquiétude la dette des états augmenter continuellement et qui condamnent l’amortissement comme une doctrine surannée. Dépensons, disent ces financiers, dépensons toujours, mais d’une façon productive, la richesse s’accroîtra, et ce sera le meilleur des amortissemens. Qu’importe l’accroissement des charges si on est plus riche pour les supporter ? Tout est relatif, dans ce monde ; nous sommes moins accables en France avec 22 milliards de dette que la Turquie ne l’est avec 4 ou 5, et la Russie avec 10 ou 12. Cette théorie, nous l’avons discutée et combattue assez souvent pour n’avoir pas besoin d’y revenir. Nous dirons seulement