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individuelle et celles qu’il doit faire lui-même ? Le champ est encore assez vaste pour constituer une science, et si l’on sait s’y renfermer, on ne risque point de s’égarer dans les nuages, comme on le fait trop souvent. Le duc de Broglie, en indiquant les rapports étroits qui unissent l’économie politique à la politique, a voulu prévenir ces égaremens, et en même temps, comme c’était un esprit très ferme et très élevé, il savait se dégager des passions du jour, s’abstraire dans la recherche de la vérité et la proclamer hautement, malgré les préjugés contraires.


I

Ce qu’il y a de particulièrement remarquable dans récrit qui a été publié ici sur la liberté commerciale, c’est l’époque à laquelle H fut composé. On était au lendemain du jour où, en réponse à une proposition de libre échange, faite en 1851, par un jeune membre de l’assemblée législative, M. Thiers avait prononcé un fameux discours en faveur de la protection. Ce discours avait obtenu un tel succès à la chambre et était tellement dans le courant des idées de l’époque qu’il fallait un certain courage et une grande indépendance d’esprit pour réagir contre l’effet qu’il avait produit. Le duc de Broglie eut l’un et l’autre ; il ne se laissa pas séduire par le brillant mirage qu’avait fait naître la parole de l’orateur, et voici ce qu’il écrivait alors : « Les adversaires de la liberté du commerce ont aujourd’hui le haut du pavé, presque partout, hormis en Angleterre ; mais leur position n’en est pas moins précaire et périlleuse ; presque partout il leur arrivera, s’ils n’y prennent garde, ce qui leur est arrivé en Angleterre. Ils passent en général, et non sans raison, pour des esprits étroits, des hommes à préjugés, ou, pis encore, pour les représentans, les organes d’intérêts privés en lutte contre l’intérêt général. Un beau jour, il s’élèvera, je ne sais d’où, je ne sais quel vent de réforme, au besoin même de révolution, qui soufflera sur l’édifice un peu vermoulu derrière lequel ils s’abritent et le dispersera sans en laisser pierre sur pierre, dépassant ainsi le but, comme il arrive toujours en temps de réaction, au lieu de se borner à l’atteindre. » On voit qu’il avait ainsi prévu bien au delà des traités de 1860.

Il rappelait ensuite ce qui s’était passé en Angleterre, montrait Robert Peel, d’abord fort opposé aux idées de la liberté commerciale, qu’il couvrait de sarcasmes, venant plus tard les défendre lui-même, en ouvrant sans précaution les portes de l’Angleterre aux blés étrangers, et il concluait en conseillant aux protectionistes de France et d’ailleurs d’abandonner « des principes qui ne sont que des pétitions de principes, des argumens surannés et