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étonnant qu’un juré, qui se trouve ainsi lui-même en cause, ne veuille pas assimiler un assassin de profession à un duelliste, ou à un mari outragé, ou à une jeune fille furieuse contre son séducteur, ou à une femme comme Véra Zassoulich qui s’arroge le droit de faire justice dans le silence de la loi. Nous n’avons pas besoin de faire ici appel à des considérations sur la moralité absolue, la responsabilité absolue, la conscience intime de l’assassin ; il est même probable que, si l’on voulait entrer dans cette voie, on trouverait mille circonstances qui. atténueraient la responsabilité morale des assassins de profession : mauvaise éducation, mauvais exemples, ignorance, misère, etc. Le jury n’entre pas dans cette voie et ne fait pas de casuistique, sinon pour atténuer l’effet de sa sentence, comme le faisait le préteur romain en vue de l’équité ; le fond de son appréciation est avant tout social ; le jury est ici utilitaire, et il a raison. De même, pourquoi le jury s’accorde-t-il avec la loi pour regarder la préméditation, dans la généralité des cas, comme une circonstance aggravante, et pourquoi s’écarte-t-il cependant de la loi, dans une minorité de cas, pour négliger cette circonstance ? C’est que la préméditation indique une volonté qui s’est déterminée après réflexion et dont la détermination sera conséquemment durable : le meurtre non prémédité peut être accidentel et isolé, le meurtre prémédité contient en puissance une série de meurtres. L’assassinat est donc généralement antisocial à un plus haut degré que l’homicide simple. Ce n’est pourtant pas une raison pour enfermer toujours, comme on le fait, la question de vie ou de mort dans ce dilemme grossier : Y a-t-il préméditation ou non préméditation ? Voilà pourquoi le jury échappe souvent, nous l’avons vu, aux deux cornes du dilemme légal.

La classification, des meurtres et des peines que M. de Hokzendorf conseille de substituer à la distinction de l’assassinat et de l’homicide simple, ainsi qu’au système des circonstances atténuantes, nous paraît vague et fautive parce qu’elle n’est pas faite d’après le critérium véritable, c’est-à-dire le critérium social[1]. Nous

  1. M. de Holtzendorf résume pratiquement son système en quatre articles de loi qui ont du bon : 1° quiconque donne volontairement la mort à un homme est coupable d’assassinat, et sera puni de dix à quinze ans de détention ; 2° quiconque, dans un intérêt de lucre, ou pour se procurer un avantage injuste, ou pour éviter d’être découvert, ou pour échapper à l’arrestation, donne volontairement la mort à un homme, sera puni des travaux forcés à perpétuité. Dans les cas les moins graves, la peine sera la détention pour un temps, qui ne pourra être moindre de douze ans ; 3° quiconque donne volontairement la mort à un homme dont il a reçu un outrage grave sera puni par la détention ou par la prison, pour un temps qui ne pourra être moindre de trois ans ; 4° quiconque, étant provoqué à la colère sans qu’il y ait de sa faute et poussé à agir immédiatement sous l’impulsion de cette passion, tue volontairement un homme dont il a reçu un outrage grave, — lui ou ses parens, ou une personne affidée, — est coupable de meurtre, et sera puni de la prison et de l’internement pour un temps qui ne pourra pas être moindre de trois mois. » — On remarquera que l’auteur introduit sous une forme subreptice la considération des circonstances aggravantes et la distinction du prémédité et du non-prémédité, qu’il avait écartée de sa théorie.